SOUPIR POUR UN COUP DE DÉS
Les manuscrits restent au goût du jour et les salles de ventes demeurent le lieu où l’on peut voir quelques raretés littéraires. Sotheby’s a proposé le 15 octobre 2015 une vente de la bibliothèque de Stéphane Mallarmé. Depuis 1898, année de la mort du poète, cet ensemble avait été conservé par sa fille Geneviève et son gendre Edmond Bonniot. Il fut complété par divers documents, manuscrits et lettres de poètes amis. Les pièces les plus singulières de cette collection étaient constituées par l’ensemble des états de l’ultime poème de Mallarmé, Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, de la maquette manuscrite jusqu’à la première édition, en 1914.
« LA PLUS BELLE ÉDITION DU MONDE »
(Vollard)
La genèse du Coup de Dés commence en 1896 lorsque André Lichtenberger, rédacteur de la revue Cosmopolis, sollicite la collaboration de Mallarmé. Cette revue internationale dont le siège se trouvait à Londres, était à la fois littéraire, théâtrale et politique. Quelques mois plus tard Mallarmé soumit un texte à Lichtenberger qui lui-même le soumit à sa rédaction. Le texte sembla si étonnant que la publication fut accordée sous la condition d’être accompagnée d’une préface. Le poète s’empressa d’accepter. Dans Varieté, Paul Valéry rapporte que Mallarmé en mars 1897, rue de Rome, lui lut les épreuves corrigées.
Je crois bien que je suis le premier homme qui ait vu cet ouvrage extraordinaire.[…] [ Mallarmé] se mit à lire d’une voix basse, égale, sans le moindre « effet », presque à soi-même. […]me fit enfin considérer le dispositif. Il me sembla de voir la figure d’une pensée, pour la première fois placée dans notre espace… Ici, véritablement, l’étendue parlait, songeait, enfantait des formes temporelles. L’attente, le doute, la concentration étaient choses visibles. […] Le 30 mars 1897, me donnant les épreuves corrigées du texte que devait publier Cosmopolis, il me dit avec un admirable sourire, ornement du plus pur orgueil inspiré à l’homme par son sentiment de l’univers : « Ne trouvez-vos pas que c’est un acte de démence ? »
Mallarmé commençait ainsi la préface qui accompagnait le poème paru dans Cosmopolis en mai 1897 :
J’aimerais qu’on ne lût pas cette Note ou que parcourue, même on l’oubliât.
Continuant de sa manière modeste, il suggérait que la présentation des mots et l’importance des « blancs », devaient être simplement perçues comme une nouveauté de l’espacement de la lecture. Dans une lettre à André Gide, il rendit hommage à la revue.
Cosmopolis a été crâne et délicieux, mais je n’ai pu lui présenter la chose qu’à moitié, déjà c’était, pour lui, tant risquer ! Le poème s’imprime, en ce moment, tel que je l’ai conçu quant à la pagination, où est tout l’effet. Tel mot, en gros caractères, à lui seul, domine tout une page de blanc et je crois être sûr de l’effet.
Mallarmé, bien que satisfait, ne jugeait pas cette publication idéale, car il fut contraint d’adapter son texte à la verticalité du format de la page de la revue. C’est dans cet esprit qu’il accepta la proposition du galeriste Ambroise Vollard. Celui-ci projetant de créer une édition d’art illustrée, proposa à Mallarmé de publier un de ces poèmes avec des lithographies d’Odilon Redon, et, en lui laissant toute liberté de présentation pour réaliser « la plus belle édition du monde », chez Firmin-Didot, imprimeur de l’Institut.