Le poème du Nobel de Boris Pasternak traduit par Jean-Luc Moreau en 1959.
Boris Pasternak
Poème du prix Nobel
Aux abois comme une bête,
Lumière, hommes, liberté,
Quels chemins lorsque s’apprêtent
Les piqueurs, dois-je emprunter ?
La forêt sombre, la rive
De l’étang, le fût d’un pin
Coupent ma route. Qu’arrive
Ce qui doit être ; c’est bien.
Qu’ai-je donc commis d’immonde ?
Ai-je tué, comploté ?
J’ai fait sangloter le monde,
Mon pays, sur ta beauté.
Pour moi, la tombe est prochaine,
Mais je crois qu’un temps viendra
Où la bassesse et la haine,
L’esprit du bien les vaincra.
Борис Пастернак
Нобелевская премия
Я пропал, как зверь в загоне.
Где-то люди, воля, свет,
А за мною шум погони,
Мне наружу ходу нет.
Темный лес и берег пруда,
Ели сваленной бревно.
Путь отрезан отовсюду.
Будь что будет, все равно.
Что же сделал я за пакость,
Я убийца и злодей?
Я весь мир заставил плакать
Над красой земли моей.
Но и так, почти у гроба,
Верю я, придет пора —
Силу подлости и злобы
Одолеет дух добра.
Claudine Bohi – L’émotion poétique
Être ému, c’est être mis en mouvement, comme peut nous le rappeler l’étymologie. L’émotion ne se réduit pas à ce qu’on appelle souvent, avec quelque mépris, le sentimentalisme.
En poésie, il est de bon ton, j’allais dire de bon temps, de critiquer le lyrisme qui est, souvent à juste titre, considéré comme une effusion égocentrique de l’identité, avec ses déclinaisons individualistes.
L’émotion poétique, ce n’est pas ça. Ce n’est pas la sentimentalité, son expression, son extension, ni son partage.
Pourtant, si le poème n’émeut pas, c’est qu’il n’est pas reçu.
Entendre un poème, c’est effectivement se laisser atteindre par ce qui, à l’intérieur de ses mots, nous met en mouvement. Quelque chose de nous-même est touché, bougé, ébranlé, et cela vient par les mots, dans cette « sorcellerie évocatoire » dont parlait Charles Baudelaire, et qui est la marque des poètes.
Ainsi va le poème : parole de l’un pour l’autre (cet autre est aussi bien le poète que son lecteur. Cet autre est intérieur au poète autant qu’extérieur. L’altérité est aussi au fond de nous-mêmes.)
Ni un discours ni un récit, mais une parole, c’est-à-dire le surgissement d’une voix de chair, d’une voix particulière dans des mots que nous connaissons, mais qui, à être parlés de cette manière, sont renouvelés, sont augmentés.
Quelque chose a changé, est ajouté à la familière signification.
Ce quelque chose, c’est DU SENS, non pas une simple signification de plus ni une « vision » différente, non, pas seulement. Mais un bouleversement premier plutôt, qui nous fait sentir-comprendre que l’humain est capable de sens, de donner du sens, d’aller le chercher ou de le fabriquer. Nous avons cette force, et cette liberté. Et nous l’avons tous.
Le poème est comme un réservoir de sens, il nous le montre. C’est cela qui nous bouleverse.
Chaque poème ajoute quelque chose à la signification pure des mots qu’il emploie et qui sont à tout le monde. (Images, musicalité, rythme, constructions particulières, déplacements inattendus…)
Le poème est un puits ouvert dans la langue. Il y manifeste que notre langage est subjectif, et en l’occurrence que, loin d’être un défaut, c’est bien là notre richesse.
Le langage fabrique les sujets que nous sommes. Et c’est l’honneur de la poésie de nous le rappeler, face à tout ce qui nous rétrécit et qui nous brise. Face à ce qui nous rend anonymes et qui nous voudrait interchangeables, le poème rend chacun de nous à lui-même.
Le poète nous montre le « verre coloré »(Husserl) que nous avons tous, chacun le sien, devant les yeux, et nous révèle que nous regardons le monde à travers lui. Il nous fait sentir que ce foisonnement augmente la vie.
LE POÈME NOUS DONNE LE SENTIMENT-SENSATION DU SENS.
Le sentiment que quelque chose dans la parole poétique déborde sa signification lexicale.
Et c’est cela qui est appelé dans la lecture du poème. C’est cela qui est partagé, et qui est modulé. C’est cela l’émotion poétique.
Dire aussi que ce quelque chose est une présence : tout à coup, un homme parle, voici un poème, et voici une présence au monde qui s’offre à nous. Alors, dans le même temps nous est donnée notre propre présence. Et de cette manière, notre propre liberté.
Ainsi, nous sommes, dans ce frémissement.
Comprendre de cette manière, peut-être, le «Ô insensé qui crois que je ne suis pas toi » de V. Hugo.
Oui, nous le sentons, nous le découvrons en nous-mêmes, nous sommes les parlants du monde et le monde parle à travers nous.
C’est notre force, et c’est notre responsabilité. C’est notre grandeur et aussi, souvent, notre honte.
Le poème n’a rien à voir avec la morale, mais il nous remet à notre place : Nous sommes tous en charge du monde et de nous-mêmes. Nous le décryptons, nous le parlons, nous le transformons.
Il me semble que c’est dans cette émotion-là que nous conduit la poésie, au bord de nous-mêmes.
Oui, c’est bien au cœur, mais à celui qui n’est séparé ni de notre intellect, ni de notre corps, que nous sommes touchés.
Que fait donc la poésie, si ce n’est donner de la vie aux mots, les plonger dans la marée immense du vivant et y glisser l’éblouissement de notre présence ?
À charge pour nous de l’accueillir ou de la refuser. Ceci ne lui appartient plus.
Dans les couleurs du monde
un petit œil s’enfuit
il vagabonde entre les signes
il les éclaire
il les transforme
les habille de neuf
très doucement
très sagement
sans bruit aucun
il ajoute à la vie
ce qu’elle ne connaît pas
encore
le réel palpite
il nous appelle
ce petit œil
est en chacun de nous
ce qui donne au monde
sa forme
Claudine Bohi
Entretien Terre à Ciel : Jean Le Boël
Entretien Terre à Ciel : Jean Le Boël répond aux questions de Cécile Guivarch à propos de la Maison de Poésie de Paris Fondation Émile Blémont
1- Il me semble que nous ne pourrions pas parler de la Maison de Poésie de Paris – Fondation Emile Blémont, sans parler de celui qui l’a fondée. Cher Jean : qui était donc Emile Blémont ? Quelle était sa personnalité ?
Tu as raison : à tout seigneur, tout honneur ! D’autant que son cas est exemplaire : c’est celui d’un poète assez lucide pour ne pas s’obnubiler de sa seule création ; assez curieux et fin pour distinguer le génie là où ses amis hésitent ou sont carrément choqués ; assez généreux et visionnaire pour prolonger, au-delà de sa propre existence, son bienveillant soutien à la poésie. Émile Blémont, né Léon-Émile Petitdidier a vu le jour à Paris en 1839 ; il y est mort en 1927. Il ne s’intéressait pas qu’à la poésie, mais aussi au théâtre ; il fut proche de Victor Hugo, des Parnassiens et des Symbolistes ; c’est à lui que Rimbaud offrit le manuscrit du sonnet dit des Voyelles ; il fut traducteur d’Edgar Allan Poe, de Mark Twain, de Sterne et, dans la revue qu’il fonda en 1872 (La Renaissance littéraire et artistique), il publia la première traduction en français de Leaves of grass de Walt Whitman. Rien qu’à ces titres, il a déjà joué un rôle dans l’histoire littéraire. Mais chacune des rubriques que je suggère mériterait un long développement. Pour le connaître mieux, rien de tel que la lecture du Bonjour, M. Blémont, le mystérieux invité du Coin de Table et la bohème artistique et littéraire des années 1870 que lui a consacré Mathilde Martineau en 1998.
2- Il y a ce tableau de Fantin-Latour le Coin de table, qui figure maintenant dans le patrimoine du musée d’Orsay, en lien avec Emile Blémont et la poésie. Cela mérite que nous nous attardions sur cette toile. Son histoire, son symbolisme. Sa description. Peux-tu développer cela ?
Henri Fantin-Latour pourrait passer aux yeux des distraits pour un peintre relativement sage, bien à sa place dans les musées, une espèce d’officiel. Ce serait très injuste : c’était un passionné, un curieux, un moderne, quelqu’un qui aimait sortir des sentiers battus, aussi bien en peinture qu’en littérature. Il avait commencé vers 1864 une série de tableaux collectifs, conçus comme autant d’hommages au génie : Hommage à Delacroix – il place Baudelaire parmi ses figures, avec Manet, qu’il célèbre à son tour dans Un Atelier aux Batignolles – où on retrouve Bazille, Monet, Renoir, mais aussi Zola, entre autres. Il en préparait un pour Baudelaire, après sa disparition, qui se serait appelé L’Anniversaire. Il ne le fit pas, mais il s’intéressa au vivier de poètes réunis par Émile Blémont autour de la revue La Renaissance littéraire et artistique. Ces Parnassiens, poètes héritiers de l’Art pour l’Art de Théophile Gautier se réunissaient tous les mois pour des repas que la presse bien-pensante appelait les « dîners des vilains bonshommes ». Suffisamment vilains, en tout cas, pour que tous ne les fréquentent pas. Le célèbre éditeur Poulet-Malassis aurait aimé ajouter à la liste Leconte de Lisle, Théodore de Banville et Hugo, mais ces derniers déclinèrent l’invitation. Eux, du moins, conservent une notoriété. Peut-on en dire autant d’Albert Mérat qui aurait refusé d’apparaître aux côtés de ce voyou de Rimbaud et dont la place est occupée par un pot d’hortensias ? On y voit donc, assis, Paul Verlaine, Arthur Rimbaud, Léon Valade, Ernest d’Hervilly, Camille Pelletan ; debout, Pierre Bonnier, dit Elzéar, Émile Blémont, Jean Aicard. Nous pouvons, hélas, avoir beaucoup oublié d’eux. Ils constituaient pourtant une élite objective, créatrice et vivante. Que deux d’entre eux, Verlaine et Rimbaud, continuent à ce point de nous marquer fait de cette toile un document miraculeux. Émile Blémont qui en était devenu propriétaire en fit don à l’état et elle fait désormais partie des collections du Musée d’Orsay. Mais me voici dans un exposé d’historien, ce qui n’est pas forcément ma compétence. Je suggèrerais plutôt la lecture du roman éponyme de Claude Chevreuil Un Coin de Table.
3- En quoi et comment Emile Blémont a-t-il occupé une place de choix dans le monde de la poésie ? Selon toi est-il à l’initiative d’un mouvement, d’un élan pour la poésie contemporaine, avec la création de la Maison de Poésie de Paris et de la Fondation ? Quelles actions avait-il mises en place ? Par quelle(s) ambition(s) était-il porté ?
Je ne suis pas sûr qu’on puisse dire d’Émile Blémont qu’il ait été ni un Verlaine ni un grand théoricien de l’écriture poétique. Un infatigable soutien des poètes, si. Il accompagna, en 1902, la création de la Société des Poètes Français par les Académiciens Léon Dierx, José-Maria de Heredia et Sully-Prudhomme : combien se souviennent que ce dernier fut, en 1901, le premier Prix Nobel de Littérature, combien lisent encore sa poésie ? C’était pourtant un homme estimable et un bel écrivain. Blémont, en tout cas, n’entendit pas placer tous ses espoirs dans cette très officielle Société. Il devait avoir conservé un certain goût des voyous et l’idée que la Poésie avait besoin de respirer en dehors des institutions. Ce qui ne veut pas dire qu’on doive la jeter à la rue. D’où, après sa mort, en 1927, et suivant ses dispositions testamentaires, la création de la Fondation Émile Blémont et l’installation de la Maison de Poésie, au 11bis, rue Ballu, dans le IXème arrondissement. Cette fondation, reconnue d’utilité publique dès 1928 par décret du Président de la République, constitue un excellent outil de promotion de la poésie et de défense des poètes.
4- Il y a eu la période Émile Blémont mais aussi un après. Il me semble, la Maison, la Fondation ont été gérées par Jacques Charpentreau. Et comment s’est-elle développée alors ?
Il y avait autour de Jacques Charpentreau, décédé en mars 2016, une équipe remarquable dont les survivants parmi nous sont Jean Hautepierre, Jean-Luc Moreau, Jean-Pierre Rousseau, Robert Vigneau et Sylvestre Clancier, notre nouveau président. Un bonne partie de leur travail a consisté en une refonte des prix, très nombreux, décernés par la Maison de Poésie, dans un souci de lisibilité. Qu’on y songe : le Grand Prix de la Maison de Poésie est ainsi né du regroupement des cinq prix dits de Fondation, dont le Prix Émile Blémont ; le Prix Verlaine a absorbé les Pierre Louÿs, Léon Valade, Gabriel Vicaire, Charles Péguy ; le prix Philippe Chabaneix, de critique ou d’histoire de la poésie, a repris le Léon Riotor… et ainsi de suite, afin d’adapter la communication de la Maison à notre monde pressé.
L’autre gros chantier a été la revue Le Coin de Table dont la production (soixante-six numéros, jusqu’en mai 2016) a été riche et exemplaire.
Jacques Charpentreau s’y était tellement investi qu’il était malaisé de poursuivre sans dénaturer. Nous avons préféré lancer un programme d’anthologies dont la première La poésie française, cent ans après Apollinaire, sortie en décembre 2018, réunit cinquante poètes, dont de très belles voix nouvelles. D’autres suivront, tous les deux ans, a priori. Françoise Coulmin a une véritable expérience des anthologies, mais elle n’a pas imposé ses choix. Chaque administrateur, ici, a contribué avec trois poèmes, puis a retenu deux autres poètes ; lesquels, à leur tour, en ont choisi deux supplémentaires. D’où la très belle variété de la cinquantaine de noms retenus.
5- Après la disparition de Jacques Charpentreau, il y a eu un essoufflement, alors comment un nouvel élan a-t-il été possible ? Sous l’impulsion d’une personne, d’un collectif ? Et pourquoi avoir eu l’envie de poursuivre les activités initiées par Émile Blémont ?
Je n’emploierai pas le mot d’essoufflement, plutôt celui de désarroi. La Maison de Poésie devait affronter, outre la disparition de son animateur, les démêlés judiciaires avec la SACD qui prétendait la chasser de ses locaux historiques. Je ne prendrai pas position dans une procédure qui est encore entre les mains de la justice, mais disons que la SACD pourrait bien avoir à regretter, semble-t-il, cette tentative malheureuse. Il y avait aussi une question de génération : certains étaient sur la brèche depuis plus de trente ans. Dans ce contexte, Sylvestre Clancier a pris l’initiative d’un amalgame renouvelé, en reconstituant une équipe solide, composée de figures historiques de la Maison, pour la mémoire, pour la transmission, et de bleus, prêts à s’investir et apportant leur expérience de l’animation et de la promotion de la poésie. En voici l’état actuel : Sylvestre Clancier (Président), Claudine Bohi, Françoise Coulmin, Jean Hautepierre (trésorier), Colette Klein, Jean Le Boël (secrétaire général), Jean-Pierre Rousseau
Membres d’honneur: Jean-Luc Moreau, Robert Vigneau
Directeur : Franck Lebeugle
6- Qu’est-ce qui différencie la Maison de Poésie de Paris des autres Maisons de la Poésie selon toi ? Quelles actions sont menées ou vont-elles être menées pour la poésie, les poètes, les éditeurs ?
Il ne s’agit pas, à nos yeux, de nous affirmer uniques ou supérieurs, mais d’agir, y compris avec les autres maisons de poésie. Nous ne sommes pas liés à un territoire : nous servons la création poétique, en général. Nous nous sentons une responsabilité historique, une responsabilité d’héritiers. Nous avons une spécificité, celle d’être une Fondation reconnue d’utilité publique. Il serait dommage de laisser partir à vau-l’eau un aussi bel outil et l’indépendance qu’il offre à l’égard des tutelles.
7- Je crois que la Maison de Poésie organisera également des prix, quelle est selon toi l’importance de ces prix, et quelles seront les conditions ?
Nous allons relancer le programme des Prix. En 2019, nous avons décerné le Prix Verlaine, soutenu le Prix Louis Guillaume et nous comptons également renouveler le Prix Rimbaud. Ce prix, orienté vers la jeunesse, avait été suspendu lorsque l’État lui avait retiré son soutien. Nous envisageons de lui donner un autre visage, de nature à rendre la lecture de la poésie contemporaine plus spontanée chez les jeunes gens. Il ne s’agira plus seulement de demander à des lycéens d’écrire de la poésie, mais d’en faire les jurés d’un prix de poésie contemporaine, sur le modèle de ce qui se pratique pour le Prix des Trouvères, que j’anime par ailleurs. C’est d’ores et déjà programmé pour le début 2021.
Oui, les prix seront pour nous un moyen d’encourager, d’épauler des voix nouvelles, pas seulement de consacrer, mais aussi de susciter un nouveau lectorat.
8- Comment pensez-vous mettre en avant la poésie contemporaine, la diffuser, la faire rayonner ?
Les anthologies que j’évoquais tout à l’heure, le renouvellement du Prix Rimbaud vont déjà dans ce sens. Dès que nous aurons retrouvé nos locaux et les coudées un peu plus franches, nous devrions rendre plus fourni notre programme d’animations. Nous avons aussi participé aux deux premières éditions du Salon des Poètes et de la Mélodie française qui se sont tenues à la Salle Gaveau, en décembre 2018 et décembre 2019.
9 – Est-ce que la Maison de Poésie agira seule ou bien allez-vous développer des partenariats, des actions avec d’autres maisons, d’autres institutions, en France ou ailleurs ?
Nous sommes au début d’un nouveau cycle. Oui, des partenariats seront noués, à la fois en région et à l’étranger. Voici quelques points du programme de notre président, Sylvestre Clancier :
« D’où il ressort que notre Maison de Poésie à la différence d’autres Maisons de la Poésie créées ultérieurement en France doit ouvrir largement ses portes à celles et à ceux qui défendent et promeuvent la poésie et l’œuvre des poètes et accueillir toutes formes de manifestations (à titre d’exemple les éditeurs de poésie pourront y présenter leurs nouveautés en présence des poètes concernés etc.)
Les Associations de poètes ou d’Amis de poètes disparus pourront y tenir leurs réunions et manifestations.
Un Parloir des Poètes y sera régulièrement organisé, comme Émile Blémont le souhaitait.
Un prix de poésie destiné à impliquer de jeunes lecteurs (collégiens et lycéens) dans la lecture de manuscrits de poèmes et d’établir des sélections, comme cela se fait déjà autour du Prix des Trouvères, pourra être développé, en un premier temps, en partenariat avec ce Prix et auquel pourrait être associé un Prix Rimbaud (notre nouveau Secrétaire général, Jean Le Boël, se proposant de nous aider en cela).
Des anthologies de poèmes continueront à y être réalisées tous les deux ou trois ans afin de faire découvrir ou mieux connaître des voix nouvelles de la poésie contemporaine.
Notre Prix Paul Verlaine sera remis plus régulièrement.
Chaque année notre MDP associée à l’Association des Amis de Louis Guillaume remettra avec eux le Prix Louis Guillaume du poème en prose à la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, comme cela a été fait pour la première fois l’an passé. Une lecture de poèmes en prose accompagnée d’un ou deux musiciens sera organisée.
Notre MDP tissera progressivement des liens avec d’autres Maisons de la Poésie à Paris et sur tout le territoire, voire au-delà, par exemple avec la MDP de Montréal au Québec, pour réaliser dans leurs murs des interventions poétiques à charge par la suite de réciprocité.
Des partenariats seront noués avec des professeurs de lettres en Collèges et Lycées afin de permettre des interventions de poètes en classe. »
10 – Enfin, comment vous êtes-vous organisés, car il me semble que vous êtes un collectif de poètes à faire évoluer la maison. Qui êtes-vous ?
Le fonctionnement d’une fondation n’est pas tout à fait celui d’une association, loi de 1901. Nous sommes sept, pas plus, sans compter les membres d’honneur, et nous cooptons les nouveaux entrants, en cas de disparition ou de démission, selon la règle de l’unanimité.
Dans un souci d’efficacité, nous nous sommes dotés d’un Directeur : Franck Lebeugle nous apporte une compétence d’organisateur et de gestionnaire, dans une fonction qui fut un temps assumée par Mathilde Martineau.
11- Dernière question, un peu indiscrète : comment faire vivre la maison de la poésie, de quels fonds, de quelles subventions nécessite-t-elle ?
La question n’est pas indiscrète : elle est centrale. En tant que fondation, nous sommes habilités à recevoir dons et legs. Ces versements donnent droit à de substantiels dégrèvements d’impôts.
Acheter nos publications, nos anthologies constitue également un excellent moyen de soutenir notre action. Par avance, merci. Mais la faire vivre, c’est aussi l’accompagner dans ses initiatives. Nous sommes tous à l’écoute, particulièrement le secrétaire général que je suis.
MATHILDE MARTINEAU
SOUPIR POUR UN COUP DE DÉS
Les manuscrits restent au goût du jour et les salles de ventes demeurent le lieu où l’on peut voir quelques raretés littéraires. Sotheby’s a proposé le 15 octobre 2015 une vente de la bibliothèque de Stéphane Mallarmé. Depuis 1898, année de la mort du poète, cet ensemble avait été conservé par sa fille Geneviève et son gendre Edmond Bonniot. Il fut complété par divers documents, manuscrits et lettres de poètes amis. Les pièces les plus singulières de cette collection étaient constituées par l’ensemble des états de l’ultime poème de Mallarmé, Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, de la maquette manuscrite jusqu’à la première édition, en 1914.
« LA PLUS BELLE ÉDITION DU MONDE »
(Vollard)
La genèse du Coup de Dés commence en 1896 lorsque André Lichtenberger, rédacteur de la revue Cosmopolis, sollicite la collaboration de Mallarmé. Cette revue internationale dont le siège se trouvait à Londres, était à la fois littéraire, théâtrale et politique. Quelques mois plus tard Mallarmé soumit un texte à Lichtenberger qui lui-même le soumit à sa rédaction. Le texte sembla si étonnant que la publication fut accordée sous la condition d’être accompagnée d’une préface. Le poète s’empressa d’accepter. Dans Varieté, Paul Valéry rapporte que Mallarmé en mars 1897, rue de Rome, lui lut les épreuves corrigées.
Je crois bien que je suis le premier homme qui ait vu cet ouvrage extraordinaire.[…] [ Mallarmé] se mit à lire d’une voix basse, égale, sans le moindre « effet », presque à soi-même. […]me fit enfin considérer le dispositif. Il me sembla de voir la figure d’une pensée, pour la première fois placée dans notre espace… Ici, véritablement, l’étendue parlait, songeait, enfantait des formes temporelles. L’attente, le doute, la concentration étaient choses visibles. […] Le 30 mars 1897, me donnant les épreuves corrigées du texte que devait publier Cosmopolis, il me dit avec un admirable sourire, ornement du plus pur orgueil inspiré à l’homme par son sentiment de l’univers : « Ne trouvez-vos pas que c’est un acte de démence ? »
Mallarmé commençait ainsi la préface qui accompagnait le poème paru dans Cosmopolis en mai 1897 :
J’aimerais qu’on ne lût pas cette Note ou que parcourue, même on l’oubliât.
Continuant de sa manière modeste, il suggérait que la présentation des mots et l’importance des « blancs », devaient être simplement perçues comme une nouveauté de l’espacement de la lecture. Dans une lettre à André Gide, il rendit hommage à la revue.
Cosmopolis a été crâne et délicieux, mais je n’ai pu lui présenter la chose qu’à moitié, déjà c’était, pour lui, tant risquer ! Le poème s’imprime, en ce moment, tel que je l’ai conçu quant à la pagination, où est tout l’effet. Tel mot, en gros caractères, à lui seul, domine tout une page de blanc et je crois être sûr de l’effet.
Mallarmé, bien que satisfait, ne jugeait pas cette publication idéale, car il fut contraint d’adapter son texte à la verticalité du format de la page de la revue. C’est dans cet esprit qu’il accepta la proposition du galeriste Ambroise Vollard. Celui-ci projetant de créer une édition d’art illustrée, proposa à Mallarmé de publier un de ces poèmes avec des lithographies d’Odilon Redon, et, en lui laissant toute liberté de présentation pour réaliser « la plus belle édition du monde », chez Firmin-Didot, imprimeur de l’Institut.
LA POÉSIE ? À QUOI ÇA RIME ?
« La poésie est morte, dit-on de toutes parts. Pour nous, nous n’en croyons rien ; nous croyons seulement qu’au milieu de préoccupations plus vives, le goût de la versification s’affaiblit et disparaît pour un temps. »
É. Sommer,
Petit Dictionnaire des rimes françaises. Librairie Hachette, 1894. (Exemplaire utilisé et annoté par Émile Blémont).
LA POÉSIE DES POÈTES
« La Poésie a manqué de dignité et en est punie par le dédain qui la fait considérer comme une chose médiocre et qui ne peut être prise au sérieux. »
Alfred de Vigny. Carnet de 1840-1842.
Il fut un temps où la poésie paraissait évidente, puisqu’elle était alors simplement « l’art d’écrire en vers », comme la définissait Louis Quicherat en 1850 dans son Traité de versification française. Bien entendu, cette célèbre définition ne résolvait rien, ne révélait aucun secret et laissait sans explication les deux mots importants, art et vers. Les poètes eux-mêmes s’opposaient pour savoir ce qu’était vraiment cet art qu’ils pratiquaient : les Trissotins et les Vadius se querellaient par jalousie, puis les anciens et les modernes à l’Académie, puis les Bouffons au théâtre, puis les Romantiques et les Classiques, les tenants de la rime pour l’œil et ceux de la rime pour l’oreille, les surréalistes avec tout le monde, etc. Par-delà ces querelles traditionnelles, celles des poètes qui sont des « gens irascibles » comme l’avait déjà reconnu Horace, l’apparition des vers-libristes à la fin des années 1880 suscita une vraie différence entre les uns et les autres et reposa, pour la première fois, sur des réalités esthétiques et non plus simplement sur des impressions ou des jugements sans raisons objectives. Quand on va voir d’un peu près cette célèbre querelle, comme nous l’avons souvent fait ici-même, on est surpris par la rigueur des positions des uns et des autres et par la vigueur des invectives.
Un siècle et quart plus tard, l’opposition entre la versification traditionnelle et le vers libre semble moins violente, moins outrancière, elle existe toujours. La différence entre ces deux époques, celle de la naissance du vers libre et la nôtre où coexistent ces deux types de poésie, c’est tout de même l’occultation paradoxale de la poésie, de plus en plus pratiquée par de plus en plus de gens, et de moins en moins lue, ayant de moins en moins de lecteurs et de moins en moins de place partout – si ce n’est, encore, dans les écoles. On constate qu’à la fin du XIXe siècle, la poésie occupait une place qu’elle n’a plus aujourd’hui.
Certes, la poésie a toujours vogué de crise en crise, chaque époque se plaignant de la désaffection dont elle aurait soudain souffert, et Alfred de Vigny notant dans un de ses Carnets un sujet de poème restant « à faire », qu’il ne fit pas, d’ailleurs. Mais tout de même, les ventes des recueils de Victor Hugo, la floraison des revues de poésie à l’approche des années 1900, les Prix Nobel décernés à des poètes, et d’abord à Sully Prudhomme, poète français, premier Prix de l’histoire des Nobelisés, les célèbres scandales des surréalistes, puis, dans la deuxième partie du XXe siècle, les succès des poèmes de la Résistance, la popularité de la collection des Poètes d’aujourd’hui de Pierre Seghers, tout montre, par comparaison, quelle pauvreté, quelle misère, notre époque réserve à la poésie !
On en a souvent analysé les causes, et nous ne le referons pas encore une fois, les torts étant partagés entre les écrivains, les éditeurs, la presse, les critiques, les universitaires, les profiteurs, les inventions techniques etc., le tout soumis à l’égoïsme « obligé » de l’époque, à l’écrasement systématique de la tradition culturelle, à la mainmise du profit sur tout et partout.
ÉCRIRE SANS ÊTRE LU
Or, nous l’avons déjà remarqué, les poètes sont toujours aussi nombreux, peut-être parce que le désir de « créer », de « s’exprimer » personnellement devient de plus en plus prégnant dans une société tellement bavarde pour ne rien dire, certainement aussi parce que la poésie semble un art relativement accessible puisque son matériau, le langage, est déjà en la possession de tout le monde, et, osons le dire, certainement aussi parce que la poésie écrite en vers-libre paraît plus « facile » pour s’essayer à la poésie, ce qui n’est pas tout à fait exact.
Comme on le sait, Le Coin de table refuse de s’enrôler chez les uns ou chez les autres, et la revue publie aussi bien des vers libres que des vers plus classiques, ayant le seul souci de faire connaître de « bons poètes », expression très ambiguë qui ne correspond qu’à des choix effectués au nom de goûts personnels et sans aucune justification, surtout pas technique. Il nous a toujours semblé qu’un poème se devait d’être une œuvre structurée, et agissant d’elle-même par ses propres vertus – sans avoir besoin d’explications ni de gloses. La poésie est toujours un art.
Tout cela reste théorique. Or, la poésie est d’abord une pratique, celle de l’auteur, celle du lecteur. Et la crise poétique que nous vivons est évidente. Est-elle passagère ? Est-elle si grave que la poésie serait arrivée à sa fin ? Assistons-nous à sa mort ? La poésie n’a-t-elle plus d’avenir ?
Nous avons donc demandé leur avis à des poètes et à des amateurs de poésie et nous avons reproduit leurs réponses très diverses sur cette survie ou cette disparition de la poésie. Comment ressentent-ils cette éclipse de la poésie qu’ils pratiquent en l’écrivant ou en la lisant ? Parmi ceux qui ont bien voulu nous répondre, on trouvera des poètes célèbres (mais dans quels cercles ?), d’autres moins connus (on peut espérer qu’ils parviendront à percer l’indifférence généralisée de notre époque).
Comme on le constatera, une synthèse de leurs réponses semble impossible, par exemple entre ceux qui s’en tiennent à la versification classique et ceux qui n’aiment que le vers libre, tout en sachant, certainement comme nous, que les deux pratiques ont suscité aussi bien des réussites que des échecs. En outre, sans être aussi ancien que la versification traditionnelle, le vers libre est lui aussi une vieille lune clopinant allégrement vers son siècle et demi. L’attribut « moderne » n’a plus de sens. D’ailleurs, certains poètes refusent cette opposition (pourtant bien réelle), en s’en tenant à l’œuvre de qualité (hélas ! de plus en plus rare).
Les facteurs de cette qualité sont connus : l’image et l’imagination, le sens du rythme, la beauté de la mélodie, etc. Ils rejoignent une réalité plus subtile et difficile à cerner, celle du souffle, de la respiration, qui renvoie (peut-être) à la diction, à la lecture à haute-voix, au langage énoncé par-delà l’écriture. Et sans doute n’y a-t-il plus assez de rencontres avec un(e) diseur, ou avec le poète lui-même disant ses vers. Il nous semble que plusieurs poètes souhaitent ce passage (ce retour) à une oralité qui est aussi une définition de la poésie – jusqu’à la mémorisation, excellente défense des partisans de la forme resserrée du vers traditionnel.
Évidemment, tout se tient, et cette relative disparition de la poésie orale vient aussi de l’amenuisement de la vie poétique (et réciproquement dans ce cercle vicieux). Alfred de Vigny se plaignait déjà de cet abandon, et il estimait que la poésie manquait alors de dignité, notion assez vague pour que nous nous en méfiions tout de même un peu. Mais on voit bien qu’elle justifie en partie les succès de certaines époques. La poésie reste certainement « l’art de combiner les mots » pour en tirer un maximum d’effets, mais au service de quel plaisir – ou de quelle cause ? Certains souhaitent que le poésie retrouve le langage du combat qu’elle a utilisé à certains moments (on pense, évidemment, aux Châtiments), notre société actuelle nous offrant un large champ de protestation, dans des styles divers (nous avons attiré l’attention ici-même sur la poésie « engagée » à sa façon de Michel Houellebecq).
On fait remarquer que le monde littéraire a abandonné la poésie pour le roman (avec ses succès et ses lourds échecs), pour diverses raisons dont les financières ne sont pas les moindres : les ventes dans les deux genres ne peuvent pas se comparer. Il est vrai que les recensions de poésie n’existent pratiquement plus dans la grande presse, d’une part ; que les émissions médiatiques (radio ou télévisions) sont plus consacrées, d’autre part, à la petite histoire de l’auteur qu’à l’œuvre proprement dite. Mais tout ceci constitue des recherches d’excuses qui n’en sont pas.
La vérité, c’est tout simplement que nous n’avons pas actuellement la coïncidence nécessaire, celle d’une situation sociale assez marquée et d’un poète assez puissant pour la transmettre. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a rien à faire, mais que le succès de la poésie ne peut se manifester qu’à certains moments de crise, de tension, de joie collective, de désespoirs communs.
Reste le mystère de ce qu’on attend, de celui qui doit venir. On remarque que pour certains correspondants, la poésie touche toujours au sacré. On ne sait pas trop pourquoi, la poésie est toujours « la petite espérance » qu’il faut précieusement garder.
Et c’est bien pourquoi nous continuons.
LE COIN DE TABLE
POÉSIE VIVANTE
Depuis plus d’un centenaire, la poésie est menacée et on prédit sa disparition prochaine. Or, ce qui est intéressant, c’est le maintien du nombre de poètes (preuve que la poésie va bien) et l’amenuisement de ses lecteurs (preuve que la poésie va mal). On s’intéresse périodiquement aux lecteurs qui disparaissent – et pas assez, à notre avis, aux créateurs qui continuent à écrire, les uns dans la versification classique, les autres dans un vers libre sans préoccupation outrageuse. C’est justement à quelques-uns d’entre eux que nous avons demandé : La poésie ? À quoi ça rime ? Les résultats sont intéressants dans leur variété.
De toute façon, rimes ou sans rimes, mètre ou sans mètre – la poésie continue, comme le montre le récent numéro de la revue Le Coin de table.
Le grand nombre de poèmes contemporains le prouve, comme les études consacrées à des poètes de jadis (Mallarmé, Régnier, Gide, Jammes, Aicard, Fabié, Mac Orlan, Apollinaire, Soupault, etc.), et des reproductions particulièrement abondantes. Oui, la poésie reste bien vivante et Le Coin de table le prouve avec son soixante-cinquième numéro.
LA MAISON DE POÉSIE – FONDATION ÉMILE BLÉMONT
La Maison de poésie est une Fondation créée par les dispositions testamentaires d’Émile Blémont. Elle a été reconnue d’utilité publique par un décret du Président de la République le 19 août 1928. Elle est la seule Fondation agissant en faveur des poètes et de la poésie par ses diverses activités (publications, revue, conférences, récitals, bibliothèque, présence en diverses institutions, etc.).
Émile Blémont, son fondateur, est le personnage central du tableau de Fantin-Latour, Coin de table (1872) et, avec ses amis, le fondateur de la revue La Renaissance Littéraire et Artistique. C’est Émile Blémont qui fit asseoir au coin de la table deux jeunes poètes alors inconnus, Paul Verlaine et Arthur Rimbaud.
Poète et animateur de revues, Émile Blémont était aussi un mécène. Il acheta le célèbre tableau et en fit don à l’État. Le Coin de table est aujourd’hui au Musée d’Orsay.
La Maison de Poésie-Fondation Émile Blémont est administrée par sept poètes qui sont aujourd’hui Jacques Charpentreau, Sylvestre Clancier, Jean-Luc Despax, Jean Hautepierre, Jean-Luc Moreau, Jean-Pierre Rousseau, Robert Vigneau.