Robert Vigneau :
L’appel de l’arbre
Dans l’arbre
Ne voyez-vous pas
Ces branches ces bras
Ces feuilles ces mains
Qui supplient en vain ?
N’entendez-vous pas
La plainte tout bas
Dans le vent la voix
Qui tremble d’effroi ?
C’est qu’une âme pleure
Dans l’arbre et demeure
À jamais en larmes
Captive d’un charme.
Pour la délivrer
Il faudrait l’aimer.
Bertrand Degott
Ballade du Royaume
À Jacques Charpentreau
Villon Guillevic ou Guillaume
(dit Kostro) avaient-ils vraiment
percé les secrets du royaume ?
ça reste un mystère et pourtant
la formule n’a rien d’occulte…
à vous lire c’est évident
il ne faut jamais être adulte
comme vous l’apprenez aux mômes
dans votre livre il est prudent
d’offrir une fleur qui embaume
on fait bien de parler au vent
d’autant plus qu’il nous catapulte
pas toujours se brosser les dents
surtout ne jamais être adulte
j’ai noté sur moi des symptômes
qui pourraient se faire inquiétants
les genoux sans mercurochrome
je caracole après le temps
et parfois me plais au tumulte
– le ciel m’épargne l’accident
qui de moi ferait un adulte
ami Charpentreau, à moins d’en
rire la vie nous laisse inculte
merci de m’enseigner comment
ne jamais jamais être un adulte.
Bertrand Degott
AUTRES POÈMES
Le rire de l’ange
Je sens une aile qui me frôle
Pendant que je rêve et j’écris
Des vers sur les anges : il rit
L’ange derrière mon épaule.
Le Visage de l’ange.
Le chant
J’attendrai le temps qu’il faudra,
Je serai pluie, je serai pierre,
Galet, silex, cendres, poussière,
Fleur de pêcher, fruit de cédrat,
Quand le ciel claquant comme un drap
Sous le vent des heures dernières
Déchirera sa bleue bannière
Dans un universel fatras,
Je serai là, gerbe d’atomes
Éparpillés sous le grand dôme
Qui ne connaîtra plus de lois !
S’élèvera dans ce désastre
Embrasant le ciel d’astre en astre
Le chant que je portais en moi.
La fugitive.
L’Odyssée
Bousculade à la queue, c’est pour l’Eldorado !
Chaque jour le chaudron bout dans l’aérogare,
Ça vit, ça va, ça court, ça pue, ça se bagarre,
Enfants, chiens, retraités, valises, sacs à dos…
Pèlerins et bourgeois déguisés en clodos,
C’est la même ferveur sur la route. Pleins phares !
Ce long serpent figé, c’est l’armée des barbares
Qui grouille à pied, en train, à cheval, en radeau.
Monceaux de viande grasse épandus sur les plages,
Concentration des camps, remugles de cités,
Bruit, fureur et bonheur de la promiscuité !
Heureux qui comme Ulysse après un long voyage
Retrouve son fauteuil, et seul s’enferme à clé,
Rêvant de l’Odyssée sans voisins ni télé.
Écoute-les bêler,
Du Bellay !
La part des anges.
Métaphysique
Sur la corde à linge
ma chemise se gonfle au vent.
Il n’y a rien dedans.
On ne voit pas
une âme mise à sécher.
Musée secret
Le vieux poète
Moi, mon royaume fut royaume de papier,
Ma richesse des mots, mes titres des poèmes.
Je ne fus même pas le seigneur de moi-même,
Je n’ai rien inventé, je n’ai fait que copier.
Je n’eus pas de servants ni de valets de pied,
Je ne fus châtelain qu’en Espagne ou Bohème.
Un sonnet réussi fut mon trésor suprême.
Ma voie royale fut un tout petit sentier.
Mais j’eus tant de bonheur à quelquefois entendre
Mes simples mots redits par de jeunes voix tendres,
Des enfants inconnus, dans un moment heureux !
Ces enfants devenus des hommes, j’imagine
Qu’ils entendent toujours cette voix anonyme
Et mon âme allégée chante encore avec eux.
La fugitive.
Le petit clown blanc de la lune
Le petit clown blanc de la lune
Joue du violon, bat du tambour,
Jongle avec des noyaux de prunes,
Des diamants, des pommes d’amour,
Dans la douce nuit de velours.
Le petit clown blanc de la lune
Se balance au ciel en rêvant;
Par-dessus la mer et les dunes,
Il se laisse bercer au vent
Sur son grand trapèze volant.
Le petit clown blanc de la lune
Me regarde au fond de la nuit.
Il console mes infortunes,
Il me sourit, pâlit, et puis
Le petit clown s’en va sans bruit.
La carpe de mon pommier
« L’éphéméride fait mes rides »
– Lundi 1er décembre 2014
Révélation d’une dédicace
L’exposition consacrée par la Bibliothèque Nationale de France à l’Oulipo de novembre 2014 à février 2015 permet de retrouver les fondateurs de cet OUvroir de LIttérature POtentielle, dont Albert-Marie Schmidt, qui en trouva le nom et l’acronyme. J’ai dans ma bibliothèque un ouvrage qui lui fut dédicacé.
Le 3 décembre 1947, Gérard Philippe et Maria Casarès interprétèrent Les Épiphanies d’Henri Pichette (alors âgé de 23 ans) au Théâtre des Noctambules, devenu aujourd’hui la salle de cinéma Reflet, rue Champollion à Paris. Le succès (en grande partie mondain) fut considérable. Appâté, je voulus lire cette pièce et j’achetai à une petite librairie du boulevard Arago, le livre publié par K, dans une affreuse typographie de Massin, se voulant originale et si pénible pour le lecteur.
Je fus surpris, en ouvrant l’ouvrage, de découvrir en première page une dédicace à l’encre rouge à l’intention d’Albert-Marie Schmidt. C’était bien un autographe de Pichette. Je compris, un peu plus tard, quand je sus que le dédicataire, protestant, habitait effectivement boulevard Arago, dans l’immeuble attenant le temple. Il avait probablement revendu cet ouvrage au libraire, qui l’avait mis en rayon sans l’ouvrir, et me l’avait vendu comme « neuf »… (Il y a prescription aujourd’hui).
Bien plus tard, en 1999, j’allai voir Henri Pichette chez lui, place de la République. Il était alors devenu un poète reconnu, peut-être pas par tout le monde, mais en tout cas par la Maison de Poésie. Il était déjà malade (il devait mourir le 30 octobre 2000), mais il nous fit cadeau pour le premier numéro de notre revue Le Coin de table d’un superbe poème calligraphié par ses soins, comme toujours à l’encre rouge.
– Lundi 3 novembre 2014
La plus belle distinction
J’apprends par une lettre signée du Conseil municipal des jeunes que les élèves de l’école de Nieuil l’Espoir, dans la Vienne, ont décidé (après un vote général) de donner mon nom à leur école, et que le Conseil municipal élu a donné son accord.
Pour la deuxième fois, après la commune de Saint-Hilaire-des-Loges en Vendée, c’est la plus belle distinction qui m’ait jamais été accordée. Certes, j’ai reçu de nombreux Prix littéraires, certains prestigieux, comme celui que m’a décerné l’Académie française. Mais ceux qui viennent spontanément des enfants me sont les plus précieux, et d’autant plus que je ne connaissais personne dans ces deux communes. C’est un bel hommage rendu à la poésie – qui témoigne qu’elle est bien vivante aujourd’hui. Et quel superbe nom porte cette commune !
Allemagne
Un peu d’argot…
En juin 2012, la poésie de Jacques Charpentreau était présente lors d’un très sérieux colloque universitaire international d’argotologie organisé à Innsbruck par le département de Philologie romane de cette Université et la Faculté des Sciences humaines et Sociales de Paris-Descartes (Sorbonne).
Marina Tikhonova, de l’Université de Smolensk (Russie) y a présenté un rapport sur les éléments argotiques dans la poésie contemporaine pour les enfants. Elle y a analysé plusieurs poèmes du recueil de Jacques Charpentreau, La Banane à la moutarde (Nathan, 1986), en particulier le vocabulaire de l’argot scolaire.
Le bain
Dans la baignoire, j’ai vidé
Tous les shampoings que j’ai touillés,
J’ai fait plonger, malgré sa frousse,
Mon petit frère, et j’ai crié :
« Maman ! Viens voir ! le petit mousse ! »
Puis j’ai tiré la courte-paille
Et j’ai dit : « Tu seras mangé ! »
Depuis, le petit mousse braille :
Il sera dur à digérer…
Un bon petit cœur
(Devinette)
En quittant mon amie Sandrine,
Je lui ai souhaité « Bonne angine » ;
Mais à l’affreux Maximilien,
J’ai susurré : « Porte-toi bien ! »
Pourquoi ?
C’est parce que demain matin,
En classe on a une interro,
Sandrine restera au chaud,
Chez elle, avec un bon bouquin,
Et l’ignoble Maximilien
Viendra récolter un zéro.
La Banane à la moutarde. Poèmes abominables pour enfants plus ou moins sages.
Nathan, 1986.
*******
Mozambique
Le Centre culturel franco-mozambicain organise une exposition de photos sur la ville, avec la participation de l’ambassade de France au Mozambique et au Swaziland.
Le calligramme de Jacques Charpentreau, Message de la ville en poésie sera reproduit dans le catalogue.
Russie
Marina Tikhonova, Professeur à l’Université de Smolensk, vient de publier dans une revue scientifique un article intitulé : « La petite rose des fables » de Jacques Charpentreau : les fables modernes pour les enfants d’aujourd’hui.
Un album russe
Un album illustré de poèmes français traduits en russe, à l’intention des enfants, vient de paraître en Russie. Le traducteur, Mikhaïl Yasnov, est lui-même un célèbre poète et un fameux traducteur.
On trouve dans ce beau livre des œuvres de cinq poètes français, dont Jacques Charpentreau qui ouvre le recueil en grande vitesse.
Poèmes traduits : Paris, Les trottoirs, Chez le coiffeur, Les antennes de télévision, Les pigeons, Les gens, Les moineaux, Les mannequins, Le marché aux sorcières.
Les mannequins
Vêtus de soie, vêtus de laine,
De nylon, de coton, d’indienne,
Les mannequins sourient et prennent
La pose, comme les statues,
Dans la vitrine devenue
Le musée du coin de la rue.
Jacques Charpentreau
La Ville enchantée. L’École.
– Monsieur, Monsieur, quelle heure est-il ? Traduction : Mikhaïl Yasnov. Illustrations : Mikhaïl Bytchekov. Éditions Detgiz, Moscou.
Poèmes de Jacques Charpentreau, Jean-Luc Moreau, Lise Mathieu, Robert Vigneau, Jacqueline Saint-Jean.
Chine
Le chant du monde
« Aime-moi » dit la feuille au vent qui la caresse,
L’oiseau chante « aime-moi » vers le soleil levant.
Et l’étoile à la nuit, la vague à l’océan,
Les bois, les prés, les champs, tout ce qui vit, sans cesse,
Tout murmure « aime-moi », en un immense chœur.
Et dans ce chant du monde, « aime-moi » dit mon cœur.
Ce que les mots veulent dire.
Du Danemark
Cher Monsieur Jacques Charpentreau,
Un petit bonjour du Danemark, d’un professeur de français qui vient de finir deux semaines de travail sur la poésie, avec des jeunes de quatorze ans, ayant moins d’un an de français.
On a lu votre poème L’école – après avoir travaillé avec Desnos et Jacques Prévert. Les élèves ont bien travaillé avec les structures et le rythme des “modèles”. À la fin ils ont écrit des poèmes sur des tableaux de Magritte et des photos de Doisneau.
La poésie est une source immense – elle attire des enfants et ouvre un monde des pensées et des sentiments. La poésie d’une langue étrangère sera pleine de sensualité – articulation, prononciation, intonation – le son, le rythme – les mots nous donnent des goûts. On joue !
Je vous envoie trois poèmes des enfants pour vous remercier de votre inspiration.
Cordialement, Helle Denckert de Visme
Toftevangskolen
Birkerød
Danmark
22 juin 2012.
La maison
Dans notre monde, il y a
Des mers, des maisons par milliers,
Des oiseaux, des hommes, des pays,
Et puis mes yeux, mes yeux qui veulent
Tout voir.
Dans notre pays, il y a
Des cygnes, des auteurs,
Des forêts, des expériences,
Et puis mes yeux, mes yeux qui veulent
Tout voir.
Dans notre ville, il y a
Des quartiers, des autos,
Des écoles, des options
Et puis mes yeux, mes yeux qui veulent
Tout voir.
Dans ma maison, il y a
Des meubles, de l’amour, des photos,
Des fleurs, de la confiance,
des membre de la famille
Et puis mes yeux, mes yeux qui
Se ferment.
Émilie
Ce poème a été inspiré par L’école (texte dans la rubrique Groupe scolaire de Saint-Hilaire-des-Loges).
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Canada
EXAMENS DANGEREUX
En Alberta, province de l’ouest du Canada, un de mes poèmes vient de faire partie d’un examen du French Language Arts, pour le Diplôme de l’Alberta Education.
Ce n’est pas la première fois qu’un de mes écrits est ainsi soumis à la sagacité (et à la peine) des candidats. Cet honneur m’entraîna de menues difficultés voilà quelques années.
L’un de mes textes fut ainsi proposé au commentaire du baccalauréat (épreuve de français). Il s’agissait d’un extrait particulièrement mal-pensant.
On a dit qu’avec les poubelles de la France des millions de misérables des pays pauvres pourraient se nourrir. Cette idée est si révoltante qu’on les laisse mourir de faim pour ne pas les humilier. Les chats français mangent des produits alimentaires spéciaux (certains fabriqués en Allemagne, la voilà l’Europe unie contre la misère), tandis que les enfants d’Asie et d’Afrique souffrent de la famine. On ne peut tout de même pas envoyer des rations pour chat à l’affamé inconnu. Un jour, il aura son tombeau. Pour l’instant, on ne sait pas comment faire, on ne sait pas quoi faire. Stupides d’impuissance, nous sommes et nous restons, tout en nous apitoyant sur la souffrance qui, grâce aux moyens de masse, devient un spectacle. (Une société en toc. Éditions ouvrières, « Caliban », 1969).
JACQUES CHARPENTREAU
UN SI PROFOND SILENCE
POÈMES
« Il se fit tout à coup le plus profond silence
Quand Georgina Smolen se leva pour chanter »
Alfred de Musset, Le Saule.
« Dans le tumulte du monde, ce silence est celui qui annonce et accompagne le passage du chant, de la grâce, de la poésie. Mais la beauté n’abolit pas l’horreur : la poésie exprime nos émotions comme nos refus des monstrueuses abominations du monde, les violences, les guerres, l’écrasement des humbles. Tout cela inspire ce recueil, dans une ombre qui s’agrandit. La poésie dit la mort comme l’amour.
Mais la poésie ne le dit pas n’importe comment.
Je suis de ceux qui essaient encore d’exercer leur art, l’art poétique, en combinant les mots, leurs sens, leurs sons, leurs accents, leurs images, pour faire entendre le chant qui est en nous. C’est lui qui transforme les lignes d’un texte en vers d’un poème. La poésie exige qu’on accorde les mots comme un musicien accorde son instrument pour en jouer.
Ce chant, nous l’entendons depuis toujours, accordé à la scansion de la marche de notre vie, au rythme de notre cœur, et il sera là jusqu’à son dernier battement. Pour l’entendre, il faut l’écouter sur le silence à faire en nous, malgré le tumulte du monde. »
J. C.
Un livre de 96 pages, 13,5 cm x 20 cm. 18 euros. ISBN : 978-2-35860-034-7
La silencieuse
On n’entend pas tomber la neige
On n’entend pas marcher le chat
On ne sait pas quand s’approcha
L’amour qui nous a pris au piège.
À pas de loup la vie s’abrège
Le temps file à travers le chas
Et la patte du chat cacha
Cette pelote qui s’allège.
La silencieuse plus encor
Qui possède l’âme et le corps
Elle était là sans qu’on le sache
Celle qui tapie sans recours
Sans bruit sans espoir sans secours
Depuis toujours en moi se cache.
*
Le crime
Plus loin que le fracas des bombes et des armes,
Le grincement des chars, la folie des stukas,
Au-dessus des rockets, dans l’infernal vacarme
Des miaulements rageurs des orgues Katiouchas,
Plus puissants que les cris, les hurlements, les larmes,
Par-delà le blasphème ignoble de l’histoire,
Dans ce monde à jamais au mal abandonné,
J’entends, plus innocent que Jésus au prétoire,
Le dernier battement du cœur d’un condamné :
Le sanglot d’un enfant qu’on jette au crématoire.
*
L’adieu du régisseur
La représentation s’achève,
Il n’en reste pas plus qu’un rêve,
Une vapeur, un songe, un rien…
Mais vous avez été très bien :
Vous avez tenu votre rôle,
Tantôt émouvant, tantôt drôle,
Les spectateurs étaient contents,
Cela se sent, cela s’entend
À leurs longs silences complices,
À la façon qu’ils applaudissent.
J’ai même perçu très discret
Au fond comme un sanglot secret.
Et maintenant, j’éteins les lampes,
La salle, la herse, la rampe.
Adieu. Le noir est absolu.
Pour l’atteindre, il vous a fallu
Mener le spectacle à son terme.
La pièce est terminée. On ferme.
***
Robert Vigneau :
Un si profond silence
« Ceci n’est pas un recueil terroriste. D’emblée, je me méfie : depuis le sibyllin Coup de dés mallarméen, j’évite soigneusement les ouvrages qui s’annoncent comme des poèmes – tout juste propres à amuser les savantasses de typographie. Ici rien de tel : il ne s’agit nullement d’un casse-tête. Il ne s’agit que de poésie. C’est à dire de sentiments. Audibles ! Cela s’intitule Un si profond silence. C’est un récent recueil de Jacques Charpentreau.
Ce beau titre est d’ailleurs tiré d’une citation de Musset ; ce patronage romantique rassure le lecteur. Il suggère ce silence où monte le chant de toute existence.
On ne peut ignorer Jacques Charpentreau tant il s’est révélé prolixe : une quarantaine de recueils qui s’adressent à tous les âges et conditions (comme en témoigne même une édition en braille !) – mais ce tout dernier ouvrage tient une place particulière dans cette œuvre lyrique si ample et contrastée : le poète y offre sa méditation personnelle d’une existence confrontée à la si commune obsession de l’ultime souffle.
La vie de la vie se retire
Et le reflux est rejeté.
Il prend place ainsi dans la simple tradition française, de Villon à Queneau par exemple, que chacun illustra selon son tempérament, du réalisme effaré du pendu à la moquerie jaune de l’instant fatal… Ici, toutefois, le ton demeure volontairement assez proche de la réflexion commune : Il s’agit là d’une méditation à l’écart de toute révolte, d’une tranquille acceptation de la loi du vivant.
J’ai connu des joies et des larmes
Mais le temps est toujours trop court.
Aucune frayeur. De sincères regrets sans violence. Le poète se cantonne volontiers dans ce climat pacifié. Il ne blesse jamais les croyances. Il convie à la sérénité. Il s’affirme en fidélité avec soi-même. « Je reste ce que j’ai été. »
Son lecteur se trouve plutôt consolé dans cette ambiance dénuée de détails étrangers au moment final. Cette atmosphère peut ainsi concerner chacun. Comme un baume, même dans les images limpides de notre ignorance :
Il n’y a pas de port, il n’y a pas de rive :
L’univers se dilate, énorme cœur qui bat,
On ne sait pas pourquoi nos vieux espoirs survivent.
Nous errons sans savoir qui nous attend là-bas,
Nous fuyons dans le vide en immense dérive.
Cependant, les anecdotes frappantes, les émotions des jours qu’ont croyait négligées sont loin de passer à la trappe de l’oubli. Leur force au contraire, c’est de se retrouver réunies, entassées comme autant d’éclats (c’est le titre de ce poème) d’une existence abolie qui va s’opposer au reste du recueil entièrement consacré, lui, à cette méditation finale : ces éclats donnent ainsi matière au poème le plus fourni du recueil ; ils s’accumulent sans ponctuation, dans le désordre spontané du quotidien, en une succession d’alexandrins uniques, souvent savamment troussés d’ailleurs :
(…) Vin rouge et camembert oral avec Cohen
La noire antiquité sous l’énorme dolmen
Tous ces regards d’enfants à ma première classe
Et puis le dernier cours le fil du temps se casse
Michel Simon nichant dans un grand sassafras
Franz Liszt ressuscité sous les doigts de Cziffra
Une nuit enfermé dans un immeuble en flammes
Quand les cloches sonnaient au loin à Notre-Dame
Me trouver à l’endroit où se pendit Nerval
Jean-Louis Barrault mimant le galop du cheval (… )
Autant de moments d’émotion… que nous ne découvrirons jamais en ampleur de poèmes !
Le recueil s’orchestre en trois mouvements naturels, successivement : Fontaines du temps, Chaos et Harmonie.
La première partie, Fontaines du temps, est la plus ample : elle établit surtout un état des lieux, ces impressions de l’âge qui décline selon des détails inattendus (tenir les cartes, apercevoir un régisseur, feuilleter un dictionnaire) avec cette image si récurrente chez Charpentreau, du petit garçon qu’il fut :
Pourrait-il me reconnaître
Du grand fond de ce miroir
Où j’aime à le voir paraître
S’il parvenait à me voir ?
Chaos propose ensuite une vision sans pitié du siècle que le poète dut vivre. On y retrouve ses accents de colère et de révolte devant les égorgeurs, infanticides et autres voisins barbares. La plus brutale actualité n’échappe pas à une vindicte peu visible en sa mélodie, nous faisant oublier que Charpentreau est aussi un vigoureux poète militant :
Fous de dieu, drogués et pervers,
Le mal à nouveau surabonde.
Il n’a jamais quitté le monde.
Nus n’avons qu’un seul univers
Dont il est le sinistre envers.
Elle revient, la bête immonde.
L’ouvrage trouve une sorte d’apothéose dans le troisième mouvement dont l’intitulé Harmonies achève la quête et le chaos précédents.C’est l’occasion d’exprimer une sensation assez originale en inspiration poétique, la prise de conscience des existences qui nous ont précédés et, à leur suite, rendus viables :
J’ignore tout de vous en moi,
Famille immense des ancêtres,
Des choses, des plantes, des êtres
Qui me peuplent, qui font ma loi,
Et me guident sans l’apparaître.
L’autre aspect majeur de ces ultimes pages me paraît la réponse que, volontairement, Charpentreau s’abstient d’assener à l’interrogation fatale. Il laisse chacun libre d’imaginer un paradis… ou son absence : au contraire de tant de chantres blindés dans leur dogme, Charpentreau n’avance jamais quelque foi comme preuve : à cet égard, il reste d’une honnêteté toute laïque :
Je ne sais ce que je serai.
La vie reçue, il faut la rendre
Sans en connaître le secret,
Sans le percer, sans rien comprendre,
Redevenir poussière et cendre.
On le voit : il ne s’agit ici que de poésie, c’est à dire d’émotion – et en l’espèce de celle qui nous saisira tous à un moment donné de notre périple. On retrouve ici la réflexion de Montaigne, s’y préparant : la mort n’est pas le but de la vie, elle n’en est que le bout.
Et pour entendre message si limpide, si universel nul besoin d’abasourdir le lecteur des faux pétards du vers libre et autres baroufs de typo : le poète s’exprime naturellement en sonnets précis, en dizains traditionnels, en vers rimés et scandés, en formes et strophes que la répétition fixe et la mémoire retient d’autant plus aisément qu’elle s’est glissée dans sa sensibilité. »
Robert Vigneau
http://robert-vigneau.fr/blog/
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AUTRES PUBLICATIONS RÉCENTES :
c JACQUES CHARPENTREAU
GALERIE DES POÈTES FRANÇAIS
« Ce recueil est l’hommage d’un poète d’aujourd’hui à ses prédécesseurs. En plus de dix siècles, notre poésie a été illustrée par des milliers de poètes. Il m’a bien fallu faire un choix parmi eux. En quatre-vingts quatrains j’ai évoqué quatre-vingts poètes des origines à nos jours, beaucoup prestigieux, certains moins connus, d’ici ou d’ailleurs, tous ayant fait chanter la langue française, chacun à sa façon.
Aujourd’hui comme hier, la poésie est toujours la plus haute expression de notre langue, et j’ai voulu le rappeler avec cette Galerie qui rend un hommage personnel aux poètes qui n’en reçoivent pas souvent : le Panthéon où reposent tant de grands hommes et si peu de femmes n’a jamais accueilli que deux poètes, Voltaire et Hugo – et encore n’y ont-ils pas été admis en tant que poètes, mais plutôt pour leurs vertus civiques de penseurs et de défenseurs de nos libertés.
Par-delà mes quatre-vingts poètes exemplaires, ce sont tous les poètes d’hier et d’aujourd’hui que je veux mettre à l’honneur, en attendant ceux qui, demain, feront chanter notre langue à leur tour. »
J. C.
Un livre de 48 pages, 11,5 cm x 18,5 cm. 12 euros. Avec vignettes.
ISBN : 978-2-35860-033-0
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JACQUES CHARPENTREAU
LES SECRETS DU ROYAUME
Poèmes pour de jeunes lecteurs
Un nouveau recueil : soixante-dix nouveaux poèmes pour réjouir tous ceux qui aiment la poésie – et d’abord ces « jeunes lecteurs » qui découvrent les merveilles de l’imagination et des mots, ces mots qui les amènent au royaume de la poésie et de la vie.
On sait bien que l’accord des enfants et de la poésie est une rencontre à la fois merveilleuse et naturelle, mais on sait aussi combien il est délicat de choisir les poèmes de cette première rencontre. En voilà quelques-uns qui ne décevront pas leurs jeunes lecteurs (ni les parents qui retrouveront eux aussi leur premier émerveillement poétique).
Le charme de ces vers, au sens de « l’enchantement », vient de leurs images d’une simplicité éblouissante, et de leur chant qui est celui d’une versification si souple, si harmonieuse, qu’elle semble naturelle, alors que la poésie utilise ici toutes les ressources du vers français.
Ce n’est pas par hasard que beaucoup de poèmes de Jacques Charpentreau sont lus, aimés, partagés dans les écoles en France et dans tous les pays où notre langue est parlée avec des accents plus ou moins divers, qu’on les retrouve dans des écoles françaises en Indonésie ou en Afrique, et en traductions jusqu’en Russie ou en Chine. On peut dire que cette poésie qui chante dans ces classes est ainsi devenue une poésie classique – mais vivante.
Jacques Charpentreau a reçu de nombreux Prix (y compris de l’Académie française) et un groupe scolaire a choisi de porter son nom. Mais sa plus grande récompense, c’est que ses poèmes soient appris et chantonnés par des enfants pour leur propre plaisir – et peu importe qu’ils aient oublié le nom du poète, s’ils entendent longtemps, toute leur vie peut-être, ses vers chanter en eux.
Un livre de 104 pages, 11,7 cm x 18,5 cm. 18 euros. Avec des collages de l’auteur.
ISBN : 978-2-35860-025-5
LA TOURELLE. LA MAISON DE POÉSIE
SOCIÉTÉ DES POÈTES FRANÇAIS. 16, RUE MONSIEUR-LE-PRINCE. 75006 PARIS
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L’Étrave :
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Louis Delorme :
Jacques Charpentreau – LES SECRETS DU ROYAUME
Les secrets du royaume ! Du royaume de Poésie bien sûr ! c’est ce qu’ajoute Jacques Charpentreau sur l’exemplaire qu’il me fait l’honneur de me dédicacer. En sous-titre : Poèmes pour de jeunes lecteurs.
Existe-t-il une poésie pour enfants ? C’est Jacques Charpentreau lui-même qui m’avait posé la question. Il me semble qu’on peut donner à lire aux enfants, voire à apprendre, la plupart des poèmes. Ce qui compte c’est la façon de les aborder. Mais on peut concevoir aussi une poésie pour les jeunes lecteurs. C’est ce qu’ont fait Maurice Carême, Claude Roy (Enfantasque ), Robert Desnos (Chantefables et Chantefleurs) et même Apollinaire (Bestiaire). Et Jacques Charpentreau également qui est connu pour les anthologies poétiques qu’il a réunies à l’attention des écoles. On connaît de lui : Poèmes d’aujourd’hui pour les enfants de maintenant (destinés à un public d’école primaire) et Poèmes pour les Jeunes du temps présent (à l’adresse des adolescents)
Si l’on veut faire une poésie à l’intention des enfants, l’important c’est de ne pas tomber pour autant dans la mièvrerie, dans l’infantilisme. S’imaginer que les enfants sont incapables d’accéder à la beauté des mots. Et d’en jouer eux-mêmes. Comment le poète s’y prend-il pour se mettre à la portée de ces jeûnes lecteurs ? Il utilise de préférence des mètres courts, quadrisyllabes, pentasyllabes, hexasyllabes, heptasyllabes, octosyllabes, bien cadencés et ainsi propres à accrocher l’attention et la mémorisation du texte. Tout cela, c’est de belle musique ! Et des recettes qui fonctionnent : les interrogations ; « Qu’as-tu fait en classe aujourd’hui ? / – Du parachute en parapluie // Qu’as-tu fait en cours de français ? – Oublier tout ce que je sais. » (in Questions inévitables au retour de l’école), les jeux sur les mots et expressions : « Qu’elle était belle la Lurette / Qui se promenait au jardin,/ Collier d’or, robe de satin, / Dansant et chantant à tue-tête. » (in La Belle Lurette), les contradictions, les changements de rôle : « Changeons ! a dit le maître. / Le noir s’appelle blanc, / Le froid devient brûlant, / Quatre et treize font seize, / On conduit sans volant. » (in Qui sont les bons élèves ? ) et puis, un surréalisme de bon aloi qui plaît tant aux enfants ; « Léa joue du violon à voiles / Zéphyrin d’un truc à pédales / Suzon du fromage à virgules /– Moi, je joue du fauteuil à bulles. » (in Les musiciens).
Le livre de Jacques Charpentreau ne s’adresse pas qu’aux enfants. Il peut devenir aussi un excellent outil pédagogique. On peut faire réagir les enfants sur la plupart des poèmes. On pourra chercher d’autres Qu’as-tu fait ?, d’autres joueurs d’instruments bizarres, d’autres changements d’identité. Que vont devenir le chat, le zèbre… ? Jacques Charpentreau connaît bien l’univers des enfants : il exploite les thèmes qui « marchent », en regroupant les textes qui y font référence : La clé des champs, À l’école, Mes bêtes, Sortilèges, etc. Ce didactisme ajoute à l’intérêt du livre.
Laissons-nous emporter Au Royaume de poésie avec ces « fées en robe de gala / Et falbalas / Des fées qui changent les cailloux / En beaux bijoux », avec « le vrai magicien / Réveillant la terre endormie / Par sa mystérieuse alchimie », nous qui avons su rester de grands enfants et nous pourrons, par esprit de contradiction, jouer avec les nôtres, à trouver des sorciers qui changent les bijoux en cailloux, qui retardent la venue du printemps, qui sait ? Pour augmenter notre plaisir, le poète illustre son recueil avec des collages qui prolongent le rêve. Votre livre me donnerait envie de retourner à l’école pour le transmettre à mes élèves. Merci, cher Jacques Charpentreau pour cette bulle de bonheur ! nous en avons tellement besoin.
Louis Delorme
***
Robert Vigneau :
L’appel de l’arbre
Dans l’arbre
Ne voyez-vous pas
Ces branches ces bras
Ces feuilles ces mains
Qui supplient en vain ?
N’entendez-vous pas
La plainte tout bas
Dans le vent la voix
Qui tremble d’effroi ?
C’est qu’une âme pleure
Dans l’arbre et demeure
À jamais en larmes
Captive d’un charme.
Pour la délivrer
Il faudrait l’aimer.
Bertrand Degott
Ballade du Royaume
À Jacques Charpentreau
Villon Guillevic ou Guillaume
(dit Kostro) avaient-ils vraiment
percé les secrets du royaume ?
ça reste un mystère et pourtant
la formule n’a rien d’occulte…
à vous lire c’est évident
il ne faut jamais être adulte
comme vous l’apprenez aux mômes
dans votre livre il est prudent
d’offrir une fleur qui embaume
on fait bien de parler au vent
d’autant plus qu’il nous catapulte
pas toujours se brosser les dents
surtout ne jamais être adulte
j’ai noté sur moi des symptômes
qui pourraient se faire inquiétants
les genoux sans mercurochrome
je caracole après le temps
et parfois me plais au tumulte
– le ciel m’épargne l’accident
qui de moi ferait un adulte
ami Charpentreau, à moins d’en
rire la vie nous laisse inculte
merci de m’enseigner comment
ne jamais jamais être un adulte.
Bertrand Degott
AUTRES POÈMES
Le rire de l’ange
Je sens une aile qui me frôle
Pendant que je rêve et j’écris
Des vers sur les anges : il rit
L’ange derrière mon épaule.
Le Visage de l’ange.
***
Le chant
J’attendrai le temps qu’il faudra,
Je serai pluie, je serai pierre,
Galet, silex, cendres, poussière,
Fleur de pêcher, fruit de cédrat,
Quand le ciel claquant comme un drap
Sous le vent des heures dernières
Déchirera sa bleue bannière
Dans un universel fatras,
Je serai là, gerbe d’atomes
Éparpillés sous le grand dôme
Qui ne connaîtra plus de lois !
S’élèvera dans ce désastre
Embrasant le ciel d’astre en astre
Le chant que je portais en moi.
La fugitive.
***
L’Odyssée
Bousculade à la queue, c’est pour l’Eldorado !
Chaque jour le chaudron bout dans l’aérogare,
Ça vit, ça va, ça court, ça pue, ça se bagarre,
Enfants, chiens, retraités, valises, sacs à dos…
Pèlerins et bourgeois déguisés en clodos,
C’est la même ferveur sur la route. Pleins phares !
Ce long serpent figé, c’est l’armée des barbares
Qui grouille à pied, en train, à cheval, en radeau.
Monceaux de viande grasse épandus sur les plages,
Concentration des camps, remugles de cités,
Bruit, fureur et bonheur de la promiscuité !
Heureux qui comme Ulysse après un long voyage
Retrouve son fauteuil, et seul s’enferme à clé,
Rêvant de l’Odyssée sans voisins ni télé.
Écoute-les bêler,
Du Bellay !
La part des anges.
Métaphysique
Sur la corde à linge
ma chemise se gonfle au vent.
Il n’y a rien dedans.
On ne voit pas
une âme mise à sécher.
Musée secret
***
Le vieux poète
Moi, mon royaume fut royaume de papier,
Ma richesse des mots, mes titres des poèmes.
Je ne fus même pas le seigneur de moi-même,
Je n’ai rien inventé, je n’ai fait que copier.
Je n’eus pas de servants ni de valets de pied,
Je ne fus châtelain qu’en Espagne ou Bohème.
Un sonnet réussi fut mon trésor suprême.
Ma voie royale fut un tout petit sentier.
Mais j’eus tant de bonheur à quelquefois entendre
Mes simples mots redits par de jeunes voix tendres,
Des enfants inconnus, dans un moment heureux !
Ces enfants devenus des hommes, j’imagine
Qu’ils entendent toujours cette voix anonyme
Et mon âme allégée chante encore avec eux.
La fugitive.
***
Le petit clown blanc de la lune
Le petit clown blanc de la lune
Joue du violon, bat du tambour,
Jongle avec des noyaux de prunes,
Des diamants, des pommes d’amour,
Dans la douce nuit de velours.
Le petit clown blanc de la lune
Se balance au ciel en rêvant;
Par-dessus la mer et les dunes,
Il se laisse bercer au vent
Sur son grand trapèze volant.
Le petit clown blanc de la lune
Me regarde au fond de la nuit.
Il console mes infortunes,
Il me sourit, pâlit, et puis
Le petit clown s’en va sans bruit.
La carpe de mon pommier
La Carpe de mon pommier. Collage de l’auteur.
Actualités
Rencontres
Radotages-Radeau d’âge
« L’éphéméride fait mes rides »
– Lundi 1er décembre 2014
Révélation d’une dédicace
L’exposition consacrée par la Bibliothèque Nationale de France à l’Oulipo de novembre 2014 à février 2015 permet de retrouver les fondateurs de cet OUvroir de LIttérature POtentielle, dont Albert-Marie Schmidt, qui en trouva le nom et l’acronyme. J’ai dans ma bibliothèque un ouvrage qui lui fut dédicacé.
Le 3 décembre 1947, Gérard Philippe et Maria Casarès interprétèrent Les Épiphanies d’Henri Pichette (alors âgé de 23 ans) au Théâtre des Noctambules, devenu aujourd’hui la salle de cinéma Reflet, rue Champollion à Paris. Le succès (en grande partie mondain) fut considérable. Appâté, je voulus lire cette pièce et j’achetai à une petite librairie du boulevard Arago, le livre publié par K, dans une affreuse typographie de Massin, se voulant originale et si pénible pour le lecteur.
Je fus surpris, en ouvrant l’ouvrage, de découvrir en première page une dédicace à l’encre rouge à l’intention d’Albert-Marie Schmidt. C’était bien un autographe de Pichette. Je compris, un peu plus tard, quand je sus que le dédicataire, protestant, habitait effectivement boulevard Arago, dans l’immeuble attenant le temple. Il avait probablement revendu cet ouvrage au libraire, qui l’avait mis en rayon sans l’ouvrir, et me l’avait vendu comme « neuf »… (Il y a prescription aujourd’hui).
Bien plus tard, en 1999, j’allai voir Henri Pichette chez lui, place de la République. Il était alors devenu un poète reconnu, peut-être pas par tout le monde, mais en tout cas par la Maison de Poésie. Il était déjà malade (il devait mourir le 30 octobre 2000), mais il nous fit cadeau pour le premier numéro de notre revue Le Coin de table d’un superbe poème calligraphié par ses soins, comme toujours à l’encre rouge.
– Lundi 3 novembre 2014
La plus belle distinction
J’apprends par une lettre signée du Conseil municipal des jeunes que les élèves de l’école de Nieuil l’Espoir, dans la Vienne, ont décidé (après un vote général) de donner mon nom à leur école, et que le Conseil municipal élu a donné son accord.
Pour la deuxième fois, après la commune de Saint-Hilaire-des-Loges en Vendée, c’est la plus belle distinction qui m’ait jamais été accordée. Certes, j’ai reçu de nombreux Prix littéraires, certains prestigieux, comme celui que m’a décerné l’Académie française. Mais ceux qui viennent spontanément des enfants me sont les plus précieux, et d’autant plus que je ne connaissais personne dans ces deux communes. C’est un bel hommage rendu à la poésie – qui témoigne qu’elle est bien vivante aujourd’hui. Et quel superbe nom porte cette commune !
Allemagne
Un peu d’argot…
En juin 2012, la poésie de Jacques Charpentreau était présente lors d’un très sérieux colloque universitaire international d’argotologie organisé à Innsbruck par le département de Philologie romane de cette Université et la Faculté des Sciences humaines et Sociales de Paris-Descartes (Sorbonne).
Marina Tikhonova, de l’Université de Smolensk (Russie) y a présenté un rapport sur les éléments argotiques dans la poésie contemporaine pour les enfants. Elle y a analysé plusieurs poèmes du recueil de Jacques Charpentreau, La Banane à la moutarde (Nathan, 1986), en particulier le vocabulaire de l’argot scolaire.
Le bain
Dans la baignoire, j’ai vidé
Tous les shampoings que j’ai touillés,
J’ai fait plonger, malgré sa frousse,
Mon petit frère, et j’ai crié :
« Maman ! Viens voir ! le petit mousse ! »
Puis j’ai tiré la courte-paille
Et j’ai dit : « Tu seras mangé ! »
Depuis, le petit mousse braille :
Il sera dur à digérer…
*
Un bon petit cœur
(Devinette)
En quittant mon amie Sandrine,
Je lui ai souhaité « Bonne angine » ;
Mais à l’affreux Maximilien,
J’ai susurré : « Porte-toi bien ! »
Pourquoi ?
C’est parce que demain matin,
En classe on a une interro,
Sandrine restera au chaud,
Chez elle, avec un bon bouquin,
Et l’ignoble Maximilien
Viendra récolter un zéro.
La Banane à la moutarde. Poèmes abominables pour enfants plus ou moins sages.
Nathan, 1986.
*******
Mozambique
Le Centre culturel franco-mozambicain organise une exposition de photos sur la ville, avec la participation de l’ambassade de France au Mozambique et au Swaziland.
Le calligramme de Jacques Charpentreau, Message de la ville en poésie sera reproduit dans le catalogue.
Jacques Charpentreau, Paris des enfants.L’École des Loisirs, 1978.
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Russie
Marina Tikhonova, Professeur à l’Université de Smolensk, vient de publier dans une revue scientifique un article intitulé : « La petite rose des fables » de Jacques Charpentreau : les fables modernes pour les enfants d’aujourd’hui.
*
Un album russe
Un album illustré de poèmes français traduits en russe, à l’intention des enfants, vient de paraître en Russie. Le traducteur, Mikhaïl Yasnov, est lui-même un célèbre poète et un fameux traducteur.
On trouve dans ce beau livre des œuvres de cinq poètes français, dont Jacques Charpentreau qui ouvre le recueil en grande vitesse.
Poèmes traduits : Paris, Les trottoirs, Chez le coiffeur, Les antennes de télévision, Les pigeons, Les gens, Les moineaux, Les mannequins, Le marché aux sorcières.
Les mannequins
Vêtus de soie, vêtus de laine,
De nylon, de coton, d’indienne,
Les mannequins sourient et prennent
La pose, comme les statues,
Dans la vitrine devenue
Le musée du coin de la rue.
Jacques Charpentreau
La Ville enchantée. L’École.
– Monsieur, Monsieur, quelle heure est-il ? Traduction : Mikhaïl Yasnov. Illustrations : Mikhaïl Bytchekov. Éditions Detgiz, Moscou.
Poèmes de Jacques Charpentreau, Jean-Luc Moreau, Lise Mathieu, Robert Vigneau, Jacqueline Saint-Jean.
***
Jacques Charpentreau, L’école. Ouvrage scolaire russe.
Résumé de la thèse de Lena Lartchenkova consacrée à l’analyse du style de Jacques Charpentreau (Université de Smolensk et Moscou, 2007).
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Chine
Le chant du monde
« Aime-moi » dit la feuille au vent qui la caresse,
L’oiseau chante « aime-moi » vers le soleil levant.
Et l’étoile à la nuit, la vague à l’océan,
Les bois, les prés, les champs, tout ce qui vit, sans cesse,
Tout murmure « aime-moi », en un immense chœur.
Et dans ce chant du monde, « aime-moi » dit mon cœur.
Ce que les mots veulent dire.
Le chant du monde, traduction en chinois.
Jiang Huosheng, Anthologie de la poésie française du Moyen Âge à nos jours. Pékin, 1996.
Anthologie chinoise. Présentation de Jacques Charpentreau (extrait).
Jiang Huosheng, Vœux de nouvel an à Jacques Charpentreau.
Cachet de Jacques Charpentreau.
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Du Danemark
Cher Monsieur Jacques Charpentreau,
Un petit bonjour du Danemark, d’un professeur de français qui vient de finir deux semaines de travail sur la poésie, avec des jeunes de quatorze ans, ayant moins d’un an de français.
On a lu votre poème L’école – après avoir travaillé avec Desnos et Jacques Prévert. Les élèves ont bien travaillé avec les structures et le rythme des “modèles”. À la fin ils ont écrit des poèmes sur des tableaux de Magritte et des photos de Doisneau.
La poésie est une source immense – elle attire des enfants et ouvre un monde des pensées et des sentiments. La poésie d’une langue étrangère sera pleine de sensualité – articulation, prononciation, intonation – le son, le rythme – les mots nous donnent des goûts. On joue !
Je vous envoie trois poèmes des enfants pour vous remercier de votre inspiration.
Cordialement,
Helle Denckert de Visme
Toftevangskolen
Birkerød
Danmark
22 juin 2012.
La maison
Dans notre monde, il y a
Des mers, des maisons par milliers,
Des oiseaux, des hommes, des pays,
Et puis mes yeux, mes yeux qui veulent
Tout voir.
Dans notre pays, il y a
Des cygnes, des auteurs,
Des forêts, des expériences,
Et puis mes yeux, mes yeux qui veulent
Tout voir.
Dans notre ville, il y a
Des quartiers, des autos,
Des écoles, des options
Et puis mes yeux, mes yeux qui veulent
Tout voir.
Dans ma maison, il y a
Des meubles, de l’amour, des photos,
Des fleurs, de la confiance,
des membre de la famille
Et puis mes yeux, mes yeux qui
Se ferment.
Émilie
Ce poème a été inspiré par L’école (texte dans la rubrique Groupe scolaire de Saint-Hilaire-des-Loges).
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Canada
EXAMENS DANGEREUX
En Alberta, province de l’ouest du Canada, un de mes poèmes vient de faire partie d’un examen du French Language Arts, pour le Diplôme de l’Alberta Education.
Ce n’est pas la première fois qu’un de mes écrits est ainsi soumis à la sagacité (et à la peine) des candidats. Cet honneur m’entraîna de menues difficultés voilà quelques années.
L’un de mes textes fut ainsi proposé au commentaire du baccalauréat (épreuve de français). Il s’agissait d’un extrait particulièrement mal-pensant.
On a dit qu’avec les poubelles de la France des millions de misérables des pays pauvres pourraient se nourrir. Cette idée est si révoltante qu’on les laisse mourir de faim pour ne pas les humilier. Les chats français mangent des produits alimentaires spéciaux (certains fabriqués en Allemagne, la voilà l’Europe unie contre la misère), tandis que les enfants d’Asie et d’Afrique souffrent de la famine. On ne peut tout de même pas envoyer des rations pour chat à l’affamé inconnu. Un jour, il aura son tombeau. Pour l’instant, on ne sait pas comment faire, on ne sait pas quoi faire. Stupides d’impuissance, nous sommes et nous restons, tout en nous apitoyant sur la souffrance qui, grâce aux moyens de masse, devient un spectacle. (Une société en toc. Éditions ouvrières, « Caliban », 1969).
Ce texte provocateur inspira certains candidats et en décontenança d’autres. En particulier dans ma Vendée natale où j’étais en vacances.
Le problème, c’était que certains recalés rendirent ce texte bizarre responsable de leur échec.
En ces temps-là, on servait l’essence à l’automobiliste venant s’approvisionner (aujourd’hui, que le client se débrouille ; on mesure le chemin parcouru dans notre dégringolade…), ce qui constituait un petit travail intéressant pour un jeune homme en vacances désirant gagner un peu d’argent. Un recalé du bac, par exemple. Je n’osais même plus me présenter à la pompe où le jeune homme officiait, silencieux, sombre, ruminant sa défaite, et se demandant encore ce qu’on pouvait bien tirer d’un texte aussi stupide.
J’avoue que je n’en sais rien.
Le Coin de table. Janvier 2013.