Jacques Charpentreau est né le 25 décembre 1928 aux Sables d’Olonne (Vendée).
Il a été instituteur, puis professeur de Français.
Marié. Trois enfants. Son œuvre d’écrivain compte une trentaine de recueils de poèmes, une dizaine de volumes de contes et nouvelles, trois dictionnaires, deux livres de traductions poétiques, trois pamphlets, une quinzaine d’essais. Il a rassemblé une quarantaine de florilèges poétiques.
Il a dirigé diverses collections de poésie (Enfance heureuse, Éditions ouvrières; Pour le Plaisir, EVO; Fleurs d’encre, Hachette, Livre de Poche Jeunesse) et des collections de disques au Studio SM. Il a été élu administrateur de la Maison de Poésie-Fondation Émile Blémont en 1987, Président en 1989.
La poésie de Jacques Charpentreau s’est développée en dehors de toute chapelle, privilégiant le plaisir du lecteur, le chant, le rythme, sans jamais s’enfermer dans un système. Elle a reçu plusieurs Prix littéraires (Prix Dumézil de l’Académie française, Prix de la Fondation de France, Grand Prix de la Société des Poètes Français, Prix de la Société des Gens de Lettres, Prix À Cœur Joie, Prix de la Maison de Poésie, de la Société des Amis d’Alfred de Vigny, Collégiens Les Veilleurs de mots, etc.) – et le Grand Prix de Poésie de la SACEM (Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique) en 2002.
Ses poèmes ont souvent été mis en musique, notamment par : François Barré, Edgar Cosma, Harry Cox, Gaston-Wiener, Anthony Girard, Christian Gouinguené, Max Pinchard, Germinal Salvador, S. Verbrackel (musique classique); Jo Akepsimas, Anthonioz-Rossiaux, Michel Aubert, Claude Antonini, Raymond Arvay, Michel Bernard, Jacques Bienvenu, Leda Bœller, Denis Caure, Pierre Castellan, Bruno Clavier, François Corbier, Jacques Douai, Joël Favreau, Jean Humenry, J. Laroche, Mannick, James Ollivier, Jean-Marie Ployé, Max Rongier (variétés).
Beaucoup de ses poèmes sont devenus des « classiques » – au sens littéral du mot : ses poèmes se retrouvent dans de nombreux livres et manuels scolaires, en France et à l’étranger. Sa poésie est traduite en plusieurs langues, jusqu’en Russie, en Chine, au Japon. Sa poésie personnelle, ses ouvrages de réflexion et les poètes qu’il fait connaître par ses collections ont contribué à modifier largement le paysage poétique de notre époque, particulièrement dans les établissements scolaires, en France et dans les pays francophones. Il fait partie des « Poètes contemporains » dont l’étude a été recommandée par le ministère de l’Éducation Nationale parmi « Les œuvres classiques ».Le groupe scolaire de Saint-Hilaire-des-Loges (Vendée) a pris le nom de
« Groupe scolaire Jacques Charpentreau » en octobre 1996.
« S’il est une poésie qui coule de source, c’est bien celle de Jacques Charpentreau » (Hélène Cadou).*
« Charpentreau appartient à cette race de poètes qui ne se complaisent ni dans l’obscurité ni dans l’informe ni dans l’ellipse. Pour lui, le poète doit nommer les êtres et les choses, susciter une émotion, créer des images, un rythme, une musique » (Jean Orizet, Le Figaro-Magazine).
* « La première vertu de la poésie, pour Jacques Charpentreau, c’est d’être lisible. Lisible par tous et à tous les niveaux. […] À ceux qui protesteraient contre la volonté de rendre la poésie à un plus large public et d’en faire une espèce de bien populaire, Jacques Charpentreau réplique avec une courageuse impertinence en retournant à son bénéfice une fameuse formule ducassienne : La poésie doit être faite pour tous est non pour un » (Pierre-Olivier Walzer).
« Son œuvre personnelle marque son penchant à un art qui privilégie le ton direct, la fantaisie, le clin d’œil complice au lecteur, avec des images, des rythmes, de l’humour, une touche de Prévert, un rien de chansonnier tandis que d’autres poèmes affirment ses convictions sociales et politiques (…), un regard où la planète devient amicale » (Robert Sabatier, Histoire de la Poésie française. La Poésie du XXe siècle).
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« Les lecteurs de Jacques le joueur de mots savent bien que de ses livres enfantins à ses livres d’âge mûr les mots ne se privent pas de faire la cabriole, de jouer à saute-mouton et à pigeon vole, et de faire la nique aux agents de la circulation qui voudraient imposer à la poésie des sens interdits » (Claude Roy).
« Dans le concert souvent discordant de la poésie contemporaine, sa voix est une de celles qui chantent le plus juste » (Robert Houdelot).
« Un poète qui sait allier la modernité d’un futur et la tradition d’un passé, l’art de penser et le chant léger, le pur et le populaire, la métrique et la mystique, et, dans le rêve incarné et sublimé, les enfants de tous les âges que nous restons devant un monde humain et divin: mystère au quotidien » (Jean Bancal).
* « Les poèmes, les mots de Jacques Charpentreau n’en finissent pas d’enchanter » (Andrée Chedid). *
« Toute la poésie de Jacques Charpentreau est une quête de la simplicité » (Luce Guilbaud).
* « Même lyrique, le poète qui écrit pour les enfants regarde le monde avec leurs yeux. Cette qualité est constante en l’œuvre pour adultes de Jacques Charpentreau » (Mikhaïl Yasnov, Saint-Petersbourg, Russie).
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« À travers son lyrisme et son espérance, sa voix retentit dans nos cœurs » (Jiang Huo Sheng, Wuhan, Chine).
Le tableau d’Henri Fantin-Latour, Coin de table (1872), met en scène : Assis : Paul Verlaine, Arthur Rimbaud, Léon Valade, Ernest d’Hervilly, Camille Pelletan. Debout : Pierre-Elzéar, Émile Blémont, Jean Aicard.
C’était Émile Blémont qui avait réuni ces jeunes poètes, à la demande du peintre. Verlaine et Rimbaud lui en furent toujours reconnaissants. Rimbaud lui fit don du manuscrit original de son Sonnet des voyelles (actuellement au Musée Rimbaud de Charleville-Mézières); Verlaine lui consacra un sonnet de remerciements, car Blémont n’abandonna jamais « le Pauvre Lélian » dans ses malheurs.
Nouveaux vers pour Fantin-Latour
… Il était vraiment beau Et fort solidement brossé, le grand tableau Où nous groupant alors, nous, les jeunes poètes, Sur la nappe, au dessert, vous dressâtes nos têtes. Là, quel tas de rimeurs : d’Hervilly, Pelletan, Léon Valade sous sa barbe de Persan, Et Verlaine, et Rimbaud avec sa face énorme, Et le bel Elzéar en chapeau haut de forme !… Émile Blémont. La Belle Aventure, 1895.
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À Émile Blémont
La vindicte bourgeoise assassinait mon nom Chinoisement, à coups d’épingle, quelle affaire ! Et la tempête allait plus âpre dans mon verre. D’ailleurs, du seul grief, Dieu bravé, pas un non, Pas un oui, pas un mot ! L’opinion sévère, Mais juste, s’en moquait, autant qu’une guenon De noix vides. Ce bœuf bavant sur son fanon, Le public, mâchonnait ma gloire… Encore à faire. L’heure était tentatrice, et plusieurs d’entre ceux Qui m’aimaient, en dépit de Prud’homme complice, Tournèrent, carrément, furent de mon supplice, Ou se turent, la Peur les trouvant paresseux. Mais vous, du premier jour vous fûtes simple, brave, Fidèle : et dans un cœur bien fait cela se grave.
Ne voyez-vous pas Ces branches ces bras Ces feuilles ces mains Qui supplient en vain ?
N’entendez-vous pas La plainte tout bas Dans le vent la voix Qui tremble d’effroi ?
C’est qu’une âme pleure Dans l’arbre et demeure À jamais en larmes Captive d’un charme.
Pour la délivrer Il faudrait l’aimer.
Bertrand Degott
Ballade du Royaume
À Jacques Charpentreau
Villon Guillevic ou Guillaume (dit Kostro) avaient-ils vraiment percé les secrets du royaume ? ça reste un mystère et pourtant la formule n’a rien d’occulte… à vous lire c’est évident il ne faut jamais être adulte
comme vous l’apprenez aux mômes dans votre livre il est prudent d’offrir une fleur qui embaume on fait bien de parler au vent d’autant plus qu’il nous catapulte pas toujours se brosser les dents surtout ne jamais être adulte
j’ai noté sur moi des symptômes qui pourraient se faire inquiétants les genoux sans mercurochrome je caracole après le temps et parfois me plais au tumulte – le ciel m’épargne l’accident qui de moi ferait un adulte
ami Charpentreau, à moins d’en rire la vie nous laisse inculte merci de m’enseigner comment ne jamais jamais être un adulte.
Bertrand Degott
AUTRES POÈMES
Le rire de l’ange
Je sens une aile qui me frôle Pendant que je rêve et j’écris Des vers sur les anges : il rit L’ange derrière mon épaule.
Le Visage de l’ange.
Le chant
J’attendrai le temps qu’il faudra, Je serai pluie, je serai pierre, Galet, silex, cendres, poussière, Fleur de pêcher, fruit de cédrat,
Quand le ciel claquant comme un drap Sous le vent des heures dernières Déchirera sa bleue bannière Dans un universel fatras,
Je serai là, gerbe d’atomes Éparpillés sous le grand dôme Qui ne connaîtra plus de lois !
S’élèvera dans ce désastre Embrasant le ciel d’astre en astre Le chant que je portais en moi.
La fugitive.
L’Odyssée
Bousculade à la queue, c’est pour l’Eldorado ! Chaque jour le chaudron bout dans l’aérogare, Ça vit, ça va, ça court, ça pue, ça se bagarre, Enfants, chiens, retraités, valises, sacs à dos…
Pèlerins et bourgeois déguisés en clodos, C’est la même ferveur sur la route. Pleins phares ! Ce long serpent figé, c’est l’armée des barbares Qui grouille à pied, en train, à cheval, en radeau.
Monceaux de viande grasse épandus sur les plages, Concentration des camps, remugles de cités, Bruit, fureur et bonheur de la promiscuité ! Heureux qui comme Ulysse après un long voyage
Retrouve son fauteuil, et seul s’enferme à clé, Rêvant de l’Odyssée sans voisins ni télé.
Écoute-les bêler, Du Bellay !
La part des anges.
Métaphysique
Sur la corde à linge ma chemise se gonfle au vent. Il n’y a rien dedans. On ne voit pas une âme mise à sécher.
Musée secret
Le vieux poète
Moi, mon royaume fut royaume de papier, Ma richesse des mots, mes titres des poèmes. Je ne fus même pas le seigneur de moi-même, Je n’ai rien inventé, je n’ai fait que copier.
Je n’eus pas de servants ni de valets de pied, Je ne fus châtelain qu’en Espagne ou Bohème. Un sonnet réussi fut mon trésor suprême. Ma voie royale fut un tout petit sentier.
Mais j’eus tant de bonheur à quelquefois entendre Mes simples mots redits par de jeunes voix tendres, Des enfants inconnus, dans un moment heureux !
Ces enfants devenus des hommes, j’imagine Qu’ils entendent toujours cette voix anonyme Et mon âme allégée chante encore avec eux.
La fugitive.
Le petit clown blanc de la lune
Le petit clown blanc de la lune Joue du violon, bat du tambour, Jongle avec des noyaux de prunes, Des diamants, des pommes d’amour, Dans la douce nuit de velours.
Le petit clown blanc de la lune Se balance au ciel en rêvant; Par-dessus la mer et les dunes, Il se laisse bercer au vent Sur son grand trapèze volant.
Le petit clown blanc de la lune Me regarde au fond de la nuit. Il console mes infortunes, Il me sourit, pâlit, et puis Le petit clown s’en va sans bruit.
La carpe de mon pommier
« L’éphéméride fait mes rides »
– Lundi 1er décembre 2014
Révélation d’une dédicace
L’exposition consacrée par la Bibliothèque Nationale de France à l’Oulipo de novembre 2014 à février 2015 permet de retrouver les fondateurs de cet OUvroir de LIttérature POtentielle, dont Albert-Marie Schmidt, qui en trouva le nom et l’acronyme. J’ai dans ma bibliothèque un ouvrage qui lui fut dédicacé. Le 3 décembre 1947, Gérard Philippe et Maria Casarès interprétèrent Les Épiphanies d’Henri Pichette (alors âgé de 23 ans) au Théâtre desNoctambules, devenu aujourd’hui la salle de cinéma Reflet, rue Champollion à Paris. Le succès (en grande partie mondain) fut considérable. Appâté, je voulus lire cette pièce et j’achetai à une petite librairie du boulevard Arago, le livre publié par K, dans une affreuse typographie de Massin, se voulant originale et si pénible pour le lecteur. Je fus surpris, en ouvrant l’ouvrage, de découvrir en première page une dédicace à l’encre rouge à l’intention d’Albert-Marie Schmidt. C’était bien un autographe de Pichette. Je compris, un peu plus tard, quand je sus que le dédicataire, protestant, habitait effectivement boulevard Arago, dans l’immeuble attenant le temple. Il avait probablement revendu cet ouvrage au libraire, qui l’avait mis en rayon sans l’ouvrir, et me l’avait vendu comme « neuf »… (Il y a prescription aujourd’hui). Bien plus tard, en 1999, j’allai voir Henri Pichette chez lui, place de la République. Il était alors devenu un poète reconnu, peut-être pas par tout le monde, mais en tout cas par la Maison de Poésie. Il était déjà malade (il devait mourir le 30 octobre 2000), mais il nous fit cadeau pour le premier numéro de notre revue Le Coin de table d’un superbe poème calligraphié par ses soins, comme toujours à l’encre rouge.
– Lundi 3 novembre 2014
La plus belle distinction
J’apprends par une lettre signée du Conseil municipal des jeunes que les élèves de l’école de Nieuil l’Espoir, dans la Vienne, ont décidé (après un vote général) de donner mon nom à leur école, et que le Conseil municipal élu a donné son accord. Pour la deuxième fois, après la commune de Saint-Hilaire-des-Loges en Vendée, c’est la plus belle distinction qui m’ait jamais été accordée. Certes, j’ai reçu de nombreux Prix littéraires, certains prestigieux, comme celui que m’a décerné l’Académie française. Mais ceux qui viennent spontanément des enfants me sont les plus précieux, et d’autant plus que je ne connaissais personne dans ces deux communes. C’est un bel hommage rendu à la poésie – qui témoigne qu’elle est bien vivante aujourd’hui. Et quel superbe nom porte cette commune !
Allemagne
Un peu d’argot…
En juin 2012, la poésie de Jacques Charpentreau était présente lors d’un très sérieux colloque universitaire international d’argotologie organisé à Innsbruck par le département de Philologie romane de cette Université et la Faculté des Sciences humaines et Sociales de Paris-Descartes (Sorbonne).
Marina Tikhonova, de l’Université de Smolensk (Russie) y a présenté un rapport sur les éléments argotiques dans la poésie contemporaine pour les enfants. Elle y a analysé plusieurs poèmes du recueil de Jacques Charpentreau, La Banane à la moutarde (Nathan, 1986), en particulier le vocabulaire de l’argot scolaire.
Le bain
Dans la baignoire, j’ai vidé Tous les shampoings que j’ai touillés, J’ai fait plonger, malgré sa frousse, Mon petit frère, et j’ai crié : « Maman ! Viens voir ! le petit mousse ! »
Puis j’ai tiré la courte-paille Et j’ai dit : « Tu seras mangé ! » Depuis, le petit mousse braille : Il sera dur à digérer…
Un bon petit cœur
(Devinette)
En quittant mon amie Sandrine, Je lui ai souhaité « Bonne angine » ; Mais à l’affreux Maximilien, J’ai susurré : « Porte-toi bien ! »
Pourquoi ?
C’est parce que demain matin, En classe on a une interro, Sandrine restera au chaud, Chez elle, avec un bon bouquin, Et l’ignoble Maximilien Viendra récolter un zéro.
La Banane à la moutarde. Poèmes abominables pour enfants plus ou moins sages. Nathan, 1986.
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Mozambique
Le Centre culturel franco-mozambicain organise une exposition de photos sur la ville, avec la participation de l’ambassade de France au Mozambique et au Swaziland.
Le calligramme de Jacques Charpentreau, Message de la ville en poésie sera reproduit dans le catalogue.
Russie
Marina Tikhonova, Professeur à l’Université de Smolensk, vient de publier dans une revue scientifique un article intitulé : « La petite rose des fables » de Jacques Charpentreau : les fables modernes pour les enfants d’aujourd’hui.
Un album russe
Un album illustré de poèmes français traduits en russe, à l’intention des enfants, vient de paraître en Russie. Le traducteur, Mikhaïl Yasnov, est lui-même un célèbre poète et un fameux traducteur. On trouve dans ce beau livre des œuvres de cinq poètes français, dont Jacques Charpentreau qui ouvre le recueil en grande vitesse.
Poèmes traduits : Paris, Les trottoirs, Chez le coiffeur, Les antennes de télévision, Les pigeons, Les gens, Les moineaux, Les mannequins, Le marché aux sorcières.
Les mannequins
Vêtus de soie, vêtus de laine, De nylon, de coton, d’indienne, Les mannequins sourient et prennent La pose, comme les statues, Dans la vitrine devenue Le musée du coin de la rue.
Jacques Charpentreau
La Ville enchantée. L’École.
– Monsieur, Monsieur, quelle heure est-il ? Traduction : Mikhaïl Yasnov. Illustrations : Mikhaïl Bytchekov. Éditions Detgiz, Moscou. Poèmes de Jacques Charpentreau, Jean-Luc Moreau, Lise Mathieu, Robert Vigneau, Jacqueline Saint-Jean.
Chine
Le chant du monde
« Aime-moi » dit la feuille au vent qui la caresse, L’oiseau chante « aime-moi » vers le soleil levant. Et l’étoile à la nuit, la vague à l’océan, Les bois, les prés, les champs, tout ce qui vit, sans cesse, Tout murmure « aime-moi », en un immense chœur. Et dans ce chant du monde, « aime-moi » dit mon cœur.
Ce que les mots veulent dire.
Du Danemark
Cher Monsieur Jacques Charpentreau,
Un petit bonjour du Danemark, d’un professeur de français qui vient de finir deux semaines de travail sur la poésie, avec des jeunes de quatorze ans, ayant moins d’un an de français.
On a lu votre poème L’école – après avoir travaillé avec Desnos et Jacques Prévert. Les élèves ont bien travaillé avec les structures et le rythme des “modèles”. À la fin ils ont écrit des poèmes sur des tableaux de Magritte et des photos de Doisneau.
La poésie est une source immense – elle attire des enfants et ouvre un monde des pensées et des sentiments. La poésie d’une langue étrangère sera pleine de sensualité – articulation, prononciation, intonation – le son, le rythme – les mots nous donnent des goûts. On joue !
Je vous envoie trois poèmes des enfants pour vous remercier de votre inspiration.
Cordialement, Helle Denckert de Visme Toftevangskolen
Birkerød Danmark
22 juin 2012.
La maison
Dans notre monde, il y a Des mers, des maisons par milliers, Des oiseaux, des hommes, des pays, Et puis mes yeux, mes yeux qui veulent Tout voir.
Dans notre pays, il y a Des cygnes, des auteurs, Des forêts, des expériences, Et puis mes yeux, mes yeux qui veulent Tout voir.
Dans notre ville, il y a Des quartiers, des autos, Des écoles, des options Et puis mes yeux, mes yeux qui veulent Tout voir.
Dans ma maison, il y a Des meubles, de l’amour, des photos, Des fleurs, de la confiance, des membre de la famille Et puis mes yeux, mes yeux qui Se ferment.
Émilie
Ce poème a été inspiré par L’école (texte dans la rubrique Groupe scolaire de Saint-Hilaire-des-Loges).
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Canada
EXAMENS DANGEREUX
En Alberta, province de l’ouest du Canada, un de mes poèmes vient de faire partie d’un examen du French Language Arts, pour le Diplôme de l’Alberta Education. Ce n’est pas la première fois qu’un de mes écrits est ainsi soumis à la sagacité (et à la peine) des candidats. Cet honneur m’entraîna de menues difficultés voilà quelques années. L’un de mes textes fut ainsi proposé au commentaire du baccalauréat (épreuve de français). Il s’agissait d’un extrait particulièrement mal-pensant.
On a dit qu’avec les poubelles de la France des millions de misérables des pays pauvres pourraient se nourrir. Cette idée est si révoltante qu’on les laisse mourir de faim pour ne pas les humilier. Les chats français mangent des produits alimentaires spéciaux (certains fabriqués en Allemagne, la voilà l’Europe unie contre la misère), tandis que les enfants d’Asie et d’Afrique souffrent de la famine. On ne peut tout de même pas envoyer des rations pour chat à l’affamé inconnu. Un jour, il aura son tombeau. Pour l’instant, on ne sait pas comment faire, on ne sait pas quoi faire. Stupides d’impuissance, nous sommes et nous restons, tout en nous apitoyant sur la souffrance qui, grâce aux moyens de masse, devient un spectacle. (Une société en toc. Éditions ouvrières, « Caliban », 1969).
JACQUES CHARPENTREAU
UN SI PROFOND SILENCE
POÈMES
« Il se fit tout à coup le plus profond silence Quand Georgina Smolen se leva pour chanter »
Alfred de Musset, Le Saule.
« Dans le tumulte du monde, ce silence est celui qui annonce et accompagne le passage du chant, de la grâce, de la poésie. Mais la beauté n’abolit pas l’horreur : la poésie exprime nos émotions comme nos refus des monstrueuses abominations du monde, les violences, les guerres, l’écrasement des humbles. Tout cela inspire ce recueil, dans une ombre qui s’agrandit. La poésie dit la mort comme l’amour. Mais la poésie ne le dit pas n’importe comment. Je suis de ceux qui essaient encore d’exercer leur art, l’art poétique, en combinant les mots, leurs sens, leurs sons, leurs accents, leurs images, pour faire entendre le chant qui est en nous. C’est lui qui transforme les lignes d’un texte en vers d’un poème. La poésie exige qu’on accorde les mots comme un musicien accorde son instrument pour en jouer. Ce chant, nous l’entendons depuis toujours, accordé à la scansion de la marche de notre vie, au rythme de notre cœur, et il sera là jusqu’à son dernier battement. Pour l’entendre, il faut l’écouter sur le silence à faire en nous, malgré le tumulte du monde. »
J. C.
Un livre de 96 pages, 13,5 cm x 20 cm. 18 euros. ISBN : 978-2-35860-034-7
La silencieuse
On n’entend pas tomber la neige On n’entend pas marcher le chat On ne sait pas quand s’approcha L’amour qui nous a pris au piège.
À pas de loup la vie s’abrège Le temps file à travers le chas Et la patte du chat cacha Cette pelote qui s’allège.
La silencieuse plus encor Qui possède l’âme et le corps Elle était là sans qu’on le sache
Celle qui tapie sans recours Sans bruit sans espoir sans secours Depuis toujours en moi se cache.
*
Le crime
Plus loin que le fracas des bombes et des armes, Le grincement des chars, la folie des stukas, Au-dessus des rockets, dans l’infernal vacarme Des miaulements rageurs des orgues Katiouchas, Plus puissants que les cris, les hurlements, les larmes, Par-delà le blasphème ignoble de l’histoire, Dans ce monde à jamais au mal abandonné, J’entends, plus innocent que Jésus au prétoire, Le dernier battement du cœur d’un condamné : Le sanglot d’un enfant qu’on jette au crématoire.
*
L’adieu du régisseur
La représentation s’achève, Il n’en reste pas plus qu’un rêve, Une vapeur, un songe, un rien… Mais vous avez été très bien : Vous avez tenu votre rôle, Tantôt émouvant, tantôt drôle, Les spectateurs étaient contents, Cela se sent, cela s’entend À leurs longs silences complices, À la façon qu’ils applaudissent. J’ai même perçu très discret Au fond comme un sanglot secret. Et maintenant, j’éteins les lampes, La salle, la herse, la rampe. Adieu. Le noir est absolu. Pour l’atteindre, il vous a fallu Mener le spectacle à son terme. La pièce est terminée. On ferme.
***
Robert Vigneau :
Un si profond silence
« Ceci n’est pas un recueil terroriste. D’emblée, je me méfie : depuis le sibyllin Coup de dés mallarméen, j’évite soigneusement les ouvrages qui s’annoncent comme des poèmes – tout juste propres à amuser les savantasses de typographie. Ici rien de tel : il ne s’agit nullement d’un casse-tête. Il ne s’agit que de poésie. C’est à dire de sentiments. Audibles ! Cela s’intitule Un si profond silence. C’est un récent recueil de Jacques Charpentreau. Ce beau titre est d’ailleurs tiré d’une citation de Musset ; ce patronage romantique rassure le lecteur. Il suggère ce silence où monte le chant de toute existence. On ne peut ignorer Jacques Charpentreau tant il s’est révélé prolixe : une quarantaine de recueils qui s’adressent à tous les âges et conditions (comme en témoigne même une édition en braille !) – mais ce tout dernier ouvrage tient une place particulière dans cette œuvre lyrique si ample et contrastée : le poète y offre sa méditation personnelle d’une existence confrontée à la si commune obsession de l’ultime souffle.
La vie de la vie se retire Et le reflux est rejeté.
Il prend place ainsi dans la simple tradition française, de Villon à Queneau par exemple, que chacun illustra selon son tempérament, du réalisme effaré du pendu à la moquerie jaune de l’instant fatal… Ici, toutefois, le ton demeure volontairement assez proche de la réflexion commune : Il s’agit là d’une méditation à l’écart de toute révolte, d’une tranquille acceptation de la loi du vivant.
J’ai connu des joies et des larmes Mais le temps est toujours trop court.
Aucune frayeur. De sincères regrets sans violence. Le poète se cantonne volontiers dans ce climat pacifié. Il ne blesse jamais les croyances. Il convie à la sérénité. Il s’affirme en fidélité avec soi-même. « Je reste ce que j’ai été. » Son lecteur se trouve plutôt consolé dans cette ambiance dénuée de détails étrangers au moment final. Cette atmosphère peut ainsi concerner chacun. Comme un baume, même dans les images limpides de notre ignorance :
Il n’y a pas de port, il n’y a pas de rive : L’univers se dilate, énorme cœur qui bat, On ne sait pas pourquoi nos vieux espoirs survivent. Nous errons sans savoir qui nous attend là-bas, Nous fuyons dans le vide en immense dérive.
Cependant, les anecdotes frappantes, les émotions des jours qu’ont croyait négligées sont loin de passer à la trappe de l’oubli. Leur force au contraire, c’est de se retrouver réunies, entassées comme autant d’éclats (c’est le titre de ce poème) d’une existence abolie qui va s’opposer au reste du recueil entièrement consacré, lui, à cette méditation finale : ces éclats donnent ainsi matière au poème le plus fourni du recueil ; ils s’accumulent sans ponctuation, dans le désordre spontané du quotidien, en une succession d’alexandrins uniques, souvent savamment troussés d’ailleurs :
(…) Vin rouge et camembert oral avec Cohen La noire antiquité sous l’énorme dolmen Tous ces regards d’enfants à ma première classe Et puis le dernier cours le fil du temps se casse Michel Simon nichant dans un grand sassafras Franz Liszt ressuscité sous les doigts de Cziffra Une nuit enfermé dans un immeuble en flammes Quand les cloches sonnaient au loin à Notre-Dame Me trouver à l’endroit où se pendit Nerval Jean-Louis Barrault mimant le galop du cheval (… )
Autant de moments d’émotion… que nous ne découvrirons jamais en ampleur de poèmes ! Le recueil s’orchestre en trois mouvements naturels, successivement : Fontaines du temps, Chaos et Harmonie. La première partie, Fontaines du temps, est la plus ample : elle établit surtout un état des lieux, ces impressions de l’âge qui décline selon des détails inattendus (tenir les cartes, apercevoir un régisseur, feuilleter un dictionnaire) avec cette image si récurrente chez Charpentreau, du petit garçon qu’il fut :
Pourrait-il me reconnaître Du grand fond de ce miroir Où j’aime à le voir paraître S’il parvenait à me voir ?
Chaos propose ensuite une vision sans pitié du siècle que le poète dut vivre. On y retrouve ses accents de colère et de révolte devant les égorgeurs, infanticides et autres voisins barbares. La plus brutale actualité n’échappe pas à une vindicte peu visible en sa mélodie, nous faisant oublier que Charpentreau est aussi un vigoureux poète militant :
Fous de dieu, drogués et pervers, Le mal à nouveau surabonde. Il n’a jamais quitté le monde. Nus n’avons qu’un seul univers Dont il est le sinistre envers. Elle revient, la bête immonde.
L’ouvrage trouve une sorte d’apothéose dans le troisième mouvement dont l’intitulé Harmonies achève la quête et le chaos précédents.C’est l’occasion d’exprimer une sensation assez originale en inspiration poétique, la prise de conscience des existences qui nous ont précédés et, à leur suite, rendus viables :
J’ignore tout de vous en moi, Famille immense des ancêtres, Des choses, des plantes, des êtres Qui me peuplent, qui font ma loi, Et me guident sans l’apparaître.
L’autre aspect majeur de ces ultimes pages me paraît la réponse que, volontairement, Charpentreau s’abstient d’assener à l’interrogation fatale. Il laisse chacun libre d’imaginer un paradis… ou son absence : au contraire de tant de chantres blindés dans leur dogme, Charpentreau n’avance jamais quelque foi comme preuve : à cet égard, il reste d’une honnêteté toute laïque :
Je ne sais ce que je serai. La vie reçue, il faut la rendre Sans en connaître le secret, Sans le percer, sans rien comprendre, Redevenir poussière et cendre.
On le voit : il ne s’agit ici que de poésie, c’est à dire d’émotion – et en l’espèce de celle qui nous saisira tous à un moment donné de notre périple. On retrouve ici la réflexion de Montaigne, s’y préparant : la mort n’est pas le but de la vie, elle n’en est que le bout. Et pour entendre message si limpide, si universel nul besoin d’abasourdir le lecteur des faux pétards du vers libre et autres baroufs de typo : le poète s’exprime naturellement en sonnets précis, en dizains traditionnels, en vers rimés et scandés, en formes et strophes que la répétition fixe et la mémoire retient d’autant plus aisément qu’elle s’est glissée dans sa sensibilité. »
« Ce recueil est l’hommage d’un poète d’aujourd’hui à ses prédécesseurs. En plus de dix siècles, notre poésie a été illustrée par des milliers de poètes. Il m’a bien fallu faire un choix parmi eux. En quatre-vingts quatrains j’ai évoqué quatre-vingts poètes des origines à nos jours, beaucoup prestigieux, certains moins connus, d’ici ou d’ailleurs, tous ayant fait chanter la langue française, chacun à sa façon. Aujourd’hui comme hier, la poésie est toujours la plus haute expression de notre langue, et j’ai voulu le rappeler avec cette Galerie qui rend un hommage personnel aux poètes qui n’en reçoivent pas souvent : le Panthéon où reposent tant de grands hommes et si peu de femmes n’a jamais accueilli que deux poètes, Voltaire et Hugo – et encore n’y ont-ils pas été admis en tant que poètes, mais plutôt pour leurs vertus civiques de penseurs et de défenseurs de nos libertés. Par-delà mes quatre-vingts poètes exemplaires, ce sont tous les poètes d’hier et d’aujourd’hui que je veux mettre à l’honneur, en attendant ceux qui, demain, feront chanter notre langue à leur tour. »
J. C.
Un livre de 48 pages, 11,5 cm x 18,5 cm. 12 euros. Avec vignettes.
ISBN : 978-2-35860-033-0
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JACQUES CHARPENTREAU
LES SECRETS DU ROYAUME
Poèmes pour de jeunes lecteurs
Un nouveau recueil : soixante-dix nouveaux poèmes pour réjouir tous ceux qui aiment la poésie – et d’abord ces « jeunes lecteurs » qui découvrent les merveilles de l’imagination et des mots, ces mots qui les amènent au royaume de la poésie et de la vie. On sait bien que l’accord des enfants et de la poésie est une rencontre à la fois merveilleuse et naturelle, mais on sait aussi combien il est délicat de choisir les poèmes de cette première rencontre. En voilà quelques-uns qui ne décevront pas leurs jeunes lecteurs (ni les parents qui retrouveront eux aussi leur premier émerveillement poétique). Le charme de ces vers, au sens de « l’enchantement », vient de leurs images d’une simplicité éblouissante, et de leur chant qui est celui d’une versification si souple, si harmonieuse, qu’elle semble naturelle, alors que la poésie utilise ici toutes les ressources du vers français. Ce n’est pas par hasard que beaucoup de poèmes de Jacques Charpentreau sont lus, aimés, partagés dans les écoles en France et dans tous les pays où notre langue est parlée avec des accents plus ou moins divers, qu’on les retrouve dans des écoles françaises en Indonésie ou en Afrique, et en traductions jusqu’en Russie ou en Chine. On peut dire que cette poésie qui chante dans ces classes est ainsi devenue une poésie classique – mais vivante.
Jacques Charpentreau a reçu de nombreux Prix (y compris de l’Académie française) et un groupe scolaire a choisi de porter son nom. Mais sa plus grande récompense, c’est que ses poèmes soient appris et chantonnés par des enfants pour leur propre plaisir – et peu importe qu’ils aient oublié le nom du poète, s’ils entendent longtemps, toute leur vie peut-être, ses vers chanter en eux.
Un livre de 104 pages, 11,7 cm x 18,5 cm. 18 euros. Avec des collages de l’auteur.
ISBN : 978-2-35860-025-5
LA TOURELLE. LA MAISON DE POÉSIE
SOCIÉTÉ DES POÈTES FRANÇAIS. 16, RUE MONSIEUR-LE-PRINCE. 75006 PARIS
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L’Étrave :
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Louis Delorme :
Jacques Charpentreau – LES SECRETS DU ROYAUME
Les secrets du royaume !Du royaume de Poésie bien sûr ! c’est ce qu’ajoute Jacques Charpentreau sur l’exemplaire qu’il me fait l’honneur de me dédicacer. En sous-titre : Poèmes pour de jeunes lecteurs. Existe-t-il une poésie pour enfants ? C’est Jacques Charpentreau lui-même qui m’avait posé la question. Il me semble qu’on peut donner à lire aux enfants, voire à apprendre, la plupart des poèmes. Ce qui compte c’est la façon de les aborder. Mais on peut concevoir aussi une poésie pour les jeunes lecteurs. C’est ce qu’ont fait Maurice Carême, Claude Roy (Enfantasque ), Robert Desnos (Chantefables et Chantefleurs) et même Apollinaire (Bestiaire). Et Jacques Charpentreau également qui est connu pour les anthologies poétiques qu’il a réunies à l’attention des écoles. On connaît de lui : Poèmes d’aujourd’hui pour les enfants de maintenant (destinés à un public d’école primaire) et Poèmes pour les Jeunes du temps présent (à l’adresse des adolescents) Si l’on veut faire une poésie à l’intention des enfants, l’important c’est de ne pas tomber pour autant dans la mièvrerie, dans l’infantilisme. S’imaginer que les enfants sont incapables d’accéder à la beauté des mots. Et d’en jouer eux-mêmes. Comment le poète s’y prend-il pour se mettre à la portée de ces jeûnes lecteurs ? Il utilise de préférence des mètres courts, quadrisyllabes, pentasyllabes, hexasyllabes, heptasyllabes, octosyllabes, bien cadencés et ainsi propres à accrocher l’attention et la mémorisation du texte. Tout cela, c’est de belle musique ! Et des recettes qui fonctionnent : les interrogations ; « Qu’as-tu fait en classe aujourd’hui ? / – Du parachute en parapluie // Qu’as-tu fait en cours de français ? – Oublier tout ce que je sais. » (in Questions inévitables au retour de l’école), les jeux sur les mots et expressions : « Qu’elle était belle la Lurette / Qui se promenait au jardin,/ Collier d’or, robe de satin, / Dansant et chantant à tue-tête. » (in La Belle Lurette), les contradictions, les changements de rôle : « Changeons ! a dit le maître. / Le noir s’appelle blanc, / Le froid devient brûlant, / Quatre et treize font seize, / On conduit sans volant. » (in Qui sont les bons élèves ? ) et puis, un surréalisme de bon aloi qui plaît tant aux enfants ; « Léa joue du violon à voiles / Zéphyrin d’un truc à pédales / Suzon du fromage à virgules /– Moi, je joue du fauteuil à bulles. » (in Les musiciens). Le livre de Jacques Charpentreau ne s’adresse pas qu’aux enfants. Il peut devenir aussi un excellent outil pédagogique. On peut faire réagir les enfants sur la plupart des poèmes. On pourra chercher d’autres Qu’as-tu fait?, d’autres joueurs d’instruments bizarres, d’autres changements d’identité. Que vont devenir le chat, le zèbre… ? Jacques Charpentreau connaît bien l’univers des enfants : il exploite les thèmes qui « marchent », en regroupant les textes qui y font référence : La clé des champs, À l’école, Mes bêtes, Sortilèges, etc. Ce didactisme ajoute à l’intérêt du livre. Laissons-nous emporter Au Royaume de poésie avec ces « fées en robe de gala / Et falbalas / Des fées qui changent les cailloux / En beaux bijoux », avec « le vrai magicien / Réveillant la terre endormie / Par sa mystérieuse alchimie », nous qui avons su rester de grands enfants et nous pourrons, par esprit de contradiction, jouer avec les nôtres, à trouver des sorciers qui changent les bijoux en cailloux, qui retardent la venue du printemps, qui sait ? Pour augmenter notre plaisir, le poète illustre son recueil avec des collages qui prolongent le rêve. Votre livre me donnerait envie de retourner à l’école pour le transmettre à mes élèves. Merci, cher Jacques Charpentreau pour cette bulle de bonheur ! nous en avons tellement besoin.
Louis Delorme
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Robert Vigneau :
L’appel de l’arbre
Dans l’arbre
Ne voyez-vous pas Ces branches ces bras Ces feuilles ces mains Qui supplient en vain ?
N’entendez-vous pas La plainte tout bas Dans le vent la voix Qui tremble d’effroi ?
C’est qu’une âme pleure Dans l’arbre et demeure À jamais en larmes Captive d’un charme.
Pour la délivrer Il faudrait l’aimer.
Bertrand Degott
Ballade du Royaume
À Jacques Charpentreau
Villon Guillevic ou Guillaume (dit Kostro) avaient-ils vraiment percé les secrets du royaume ? ça reste un mystère et pourtant la formule n’a rien d’occulte… à vous lire c’est évident il ne faut jamais être adulte
comme vous l’apprenez aux mômes dans votre livre il est prudent d’offrir une fleur qui embaume on fait bien de parler au vent d’autant plus qu’il nous catapulte pas toujours se brosser les dents surtout ne jamais être adulte
j’ai noté sur moi des symptômes qui pourraient se faire inquiétants les genoux sans mercurochrome je caracole après le temps et parfois me plais au tumulte – le ciel m’épargne l’accident qui de moi ferait un adulte
ami Charpentreau, à moins d’en rire la vie nous laisse inculte merci de m’enseigner comment ne jamais jamais être un adulte.
Bertrand Degott
AUTRES POÈMES
Le rire de l’ange
Je sens une aile qui me frôle Pendant que je rêve et j’écris Des vers sur les anges : il rit L’ange derrière mon épaule.
Le Visage de l’ange.
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Le chant
J’attendrai le temps qu’il faudra, Je serai pluie, je serai pierre, Galet, silex, cendres, poussière, Fleur de pêcher, fruit de cédrat,
Quand le ciel claquant comme un drap Sous le vent des heures dernières Déchirera sa bleue bannière Dans un universel fatras,
Je serai là, gerbe d’atomes Éparpillés sous le grand dôme Qui ne connaîtra plus de lois !
S’élèvera dans ce désastre Embrasant le ciel d’astre en astre Le chant que je portais en moi.
La fugitive.
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L’Odyssée
Bousculade à la queue, c’est pour l’Eldorado ! Chaque jour le chaudron bout dans l’aérogare, Ça vit, ça va, ça court, ça pue, ça se bagarre, Enfants, chiens, retraités, valises, sacs à dos…
Pèlerins et bourgeois déguisés en clodos, C’est la même ferveur sur la route. Pleins phares ! Ce long serpent figé, c’est l’armée des barbares Qui grouille à pied, en train, à cheval, en radeau.
Monceaux de viande grasse épandus sur les plages, Concentration des camps, remugles de cités, Bruit, fureur et bonheur de la promiscuité ! Heureux qui comme Ulysse après un long voyage
Retrouve son fauteuil, et seul s’enferme à clé, Rêvant de l’Odyssée sans voisins ni télé.
Écoute-les bêler, Du Bellay !
La part des anges.
Métaphysique
Sur la corde à linge ma chemise se gonfle au vent. Il n’y a rien dedans. On ne voit pas une âme mise à sécher.
Musée secret
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Le vieux poète
Moi, mon royaume fut royaume de papier, Ma richesse des mots, mes titres des poèmes. Je ne fus même pas le seigneur de moi-même, Je n’ai rien inventé, je n’ai fait que copier.
Je n’eus pas de servants ni de valets de pied, Je ne fus châtelain qu’en Espagne ou Bohème. Un sonnet réussi fut mon trésor suprême. Ma voie royale fut un tout petit sentier.
Mais j’eus tant de bonheur à quelquefois entendre Mes simples mots redits par de jeunes voix tendres, Des enfants inconnus, dans un moment heureux !
Ces enfants devenus des hommes, j’imagine Qu’ils entendent toujours cette voix anonyme Et mon âme allégée chante encore avec eux.
La fugitive.
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Le petit clown blanc de la lune
Le petit clown blanc de la lune Joue du violon, bat du tambour, Jongle avec des noyaux de prunes, Des diamants, des pommes d’amour, Dans la douce nuit de velours.
Le petit clown blanc de la lune Se balance au ciel en rêvant; Par-dessus la mer et les dunes, Il se laisse bercer au vent Sur son grand trapèze volant.
Le petit clown blanc de la lune Me regarde au fond de la nuit. Il console mes infortunes, Il me sourit, pâlit, et puis Le petit clown s’en va sans bruit.
La carpe de mon pommier
La Carpe de mon pommier. Collage de l’auteur.
Actualités
Rencontres
Radotages-Radeau d’âge
« L’éphéméride fait mes rides »
– Lundi 1er décembre 2014
Révélation d’une dédicace
L’exposition consacrée par la Bibliothèque Nationale de France à l’Oulipo de novembre 2014 à février 2015 permet de retrouver les fondateurs de cet OUvroir de LIttérature POtentielle, dont Albert-Marie Schmidt, qui en trouva le nom et l’acronyme. J’ai dans ma bibliothèque un ouvrage qui lui fut dédicacé. Le 3 décembre 1947, Gérard Philippe et Maria Casarès interprétèrent Les Épiphanies d’Henri Pichette (alors âgé de 23 ans) au Théâtre desNoctambules, devenu aujourd’hui la salle de cinéma Reflet, rue Champollion à Paris. Le succès (en grande partie mondain) fut considérable. Appâté, je voulus lire cette pièce et j’achetai à une petite librairie du boulevard Arago, le livre publié par K, dans une affreuse typographie de Massin, se voulant originale et si pénible pour le lecteur. Je fus surpris, en ouvrant l’ouvrage, de découvrir en première page une dédicace à l’encre rouge à l’intention d’Albert-Marie Schmidt. C’était bien un autographe de Pichette. Je compris, un peu plus tard, quand je sus que le dédicataire, protestant, habitait effectivement boulevard Arago, dans l’immeuble attenant le temple. Il avait probablement revendu cet ouvrage au libraire, qui l’avait mis en rayon sans l’ouvrir, et me l’avait vendu comme « neuf »… (Il y a prescription aujourd’hui). Bien plus tard, en 1999, j’allai voir Henri Pichette chez lui, place de la République. Il était alors devenu un poète reconnu, peut-être pas par tout le monde, mais en tout cas par la Maison de Poésie. Il était déjà malade (il devait mourir le 30 octobre 2000), mais il nous fit cadeau pour le premier numéro de notre revue Le Coin de table d’un superbe poème calligraphié par ses soins, comme toujours à l’encre rouge.
– Lundi 3 novembre 2014
La plus belle distinction
J’apprends par une lettre signée du Conseil municipal des jeunes que les élèves de l’école de Nieuil l’Espoir, dans la Vienne, ont décidé (après un vote général) de donner mon nom à leur école, et que le Conseil municipal élu a donné son accord. Pour la deuxième fois, après la commune de Saint-Hilaire-des-Loges en Vendée, c’est la plus belle distinction qui m’ait jamais été accordée. Certes, j’ai reçu de nombreux Prix littéraires, certains prestigieux, comme celui que m’a décerné l’Académie française. Mais ceux qui viennent spontanément des enfants me sont les plus précieux, et d’autant plus que je ne connaissais personne dans ces deux communes. C’est un bel hommage rendu à la poésie – qui témoigne qu’elle est bien vivante aujourd’hui. Et quel superbe nom porte cette commune !
Allemagne
Un peu d’argot…
En juin 2012, la poésie de Jacques Charpentreau était présente lors d’un très sérieux colloque universitaire international d’argotologie organisé à Innsbruck par le département de Philologie romane de cette Université et la Faculté des Sciences humaines et Sociales de Paris-Descartes (Sorbonne).
Marina Tikhonova, de l’Université de Smolensk (Russie) y a présenté un rapport sur les éléments argotiques dans la poésie contemporaine pour les enfants. Elle y a analysé plusieurs poèmes du recueil de Jacques Charpentreau, La Banane à la moutarde (Nathan, 1986), en particulier le vocabulaire de l’argot scolaire.
Le bain
Dans la baignoire, j’ai vidé Tous les shampoings que j’ai touillés, J’ai fait plonger, malgré sa frousse, Mon petit frère, et j’ai crié : « Maman ! Viens voir ! le petit mousse ! »
Puis j’ai tiré la courte-paille Et j’ai dit : « Tu seras mangé ! » Depuis, le petit mousse braille : Il sera dur à digérer…
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Un bon petit cœur
(Devinette)
En quittant mon amie Sandrine, Je lui ai souhaité « Bonne angine » ; Mais à l’affreux Maximilien, J’ai susurré : « Porte-toi bien ! »
Pourquoi ?
C’est parce que demain matin, En classe on a une interro, Sandrine restera au chaud, Chez elle, avec un bon bouquin, Et l’ignoble Maximilien Viendra récolter un zéro.
La Banane à la moutarde. Poèmes abominables pour enfants plus ou moins sages. Nathan, 1986.
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Mozambique
Le Centre culturel franco-mozambicain organise une exposition de photos sur la ville, avec la participation de l’ambassade de France au Mozambique et au Swaziland.
Le calligramme de Jacques Charpentreau, Message de la ville en poésie sera reproduit dans le catalogue.
Jacques Charpentreau, Paris des enfants.L’École des Loisirs, 1978.
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Russie
Marina Tikhonova, Professeur à l’Université de Smolensk, vient de publier dans une revue scientifique un article intitulé : « La petite rose des fables » de Jacques Charpentreau : les fables modernes pour les enfants d’aujourd’hui.
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Un album russe
Un album illustré de poèmes français traduits en russe, à l’intention des enfants, vient de paraître en Russie. Le traducteur, Mikhaïl Yasnov, est lui-même un célèbre poète et un fameux traducteur. On trouve dans ce beau livre des œuvres de cinq poètes français, dont Jacques Charpentreau qui ouvre le recueil en grande vitesse.
Poèmes traduits : Paris, Les trottoirs, Chez le coiffeur, Les antennes de télévision, Les pigeons, Les gens, Les moineaux, Les mannequins, Le marché aux sorcières.
Les mannequins
Vêtus de soie, vêtus de laine, De nylon, de coton, d’indienne, Les mannequins sourient et prennent La pose, comme les statues, Dans la vitrine devenue Le musée du coin de la rue.
Jacques Charpentreau
La Ville enchantée. L’École.
– Monsieur, Monsieur, quelle heure est-il ? Traduction : Mikhaïl Yasnov. Illustrations : Mikhaïl Bytchekov. Éditions Detgiz, Moscou. Poèmes de Jacques Charpentreau, Jean-Luc Moreau, Lise Mathieu, Robert Vigneau, Jacqueline Saint-Jean.
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Jacques Charpentreau, L’école. Ouvrage scolaire russe.
Résumé de la thèse de Lena Lartchenkova consacrée à l’analyse du style de Jacques Charpentreau (Université de Smolensk et Moscou, 2007).
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Chine
Le chant du monde
« Aime-moi » dit la feuille au vent qui la caresse, L’oiseau chante « aime-moi » vers le soleil levant. Et l’étoile à la nuit, la vague à l’océan, Les bois, les prés, les champs, tout ce qui vit, sans cesse, Tout murmure « aime-moi », en un immense chœur. Et dans ce chant du monde, « aime-moi » dit mon cœur.
Ce que les mots veulent dire.
Le chant du monde, traduction en chinois. Jiang Huosheng, Anthologie de la poésie française du Moyen Âge à nos jours. Pékin, 1996.
Anthologie chinoise. Présentation de Jacques Charpentreau (extrait). Jiang Huosheng, Vœux de nouvel an à Jacques Charpentreau.
Cachet de Jacques Charpentreau.
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Du Danemark
Cher Monsieur Jacques Charpentreau,
Un petit bonjour du Danemark, d’un professeur de français qui vient de finir deux semaines de travail sur la poésie, avec des jeunes de quatorze ans, ayant moins d’un an de français.
On a lu votre poème L’école – après avoir travaillé avec Desnos et Jacques Prévert. Les élèves ont bien travaillé avec les structures et le rythme des “modèles”. À la fin ils ont écrit des poèmes sur des tableaux de Magritte et des photos de Doisneau.
La poésie est une source immense – elle attire des enfants et ouvre un monde des pensées et des sentiments. La poésie d’une langue étrangère sera pleine de sensualité – articulation, prononciation, intonation – le son, le rythme – les mots nous donnent des goûts. On joue !
Je vous envoie trois poèmes des enfants pour vous remercier de votre inspiration.
Cordialement,
Helle Denckert de Visme Toftevangskolen Birkerød Danmark
22 juin 2012.
La maison
Dans notre monde, il y a Des mers, des maisons par milliers, Des oiseaux, des hommes, des pays, Et puis mes yeux, mes yeux qui veulent Tout voir.
Dans notre pays, il y a Des cygnes, des auteurs, Des forêts, des expériences, Et puis mes yeux, mes yeux qui veulent Tout voir.
Dans notre ville, il y a Des quartiers, des autos, Des écoles, des options Et puis mes yeux, mes yeux qui veulent Tout voir.
Dans ma maison, il y a Des meubles, de l’amour, des photos, Des fleurs, de la confiance, des membre de la famille Et puis mes yeux, mes yeux qui Se ferment.
Émilie
Ce poème a été inspiré par L’école (texte dans la rubrique Groupe scolaire de Saint-Hilaire-des-Loges).
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Canada
EXAMENS DANGEREUX
En Alberta, province de l’ouest du Canada, un de mes poèmes vient de faire partie d’un examen du French Language Arts, pour le Diplôme de l’Alberta Education. Ce n’est pas la première fois qu’un de mes écrits est ainsi soumis à la sagacité (et à la peine) des candidats. Cet honneur m’entraîna de menues difficultés voilà quelques années. L’un de mes textes fut ainsi proposé au commentaire du baccalauréat (épreuve de français). Il s’agissait d’un extrait particulièrement mal-pensant.
On a dit qu’avec les poubelles de la France des millions de misérables des pays pauvres pourraient se nourrir. Cette idée est si révoltante qu’on les laisse mourir de faim pour ne pas les humilier. Les chats français mangent des produits alimentaires spéciaux (certains fabriqués en Allemagne, la voilà l’Europe unie contre la misère), tandis que les enfants d’Asie et d’Afrique souffrent de la famine. On ne peut tout de même pas envoyer des rations pour chat à l’affamé inconnu. Un jour, il aura son tombeau. Pour l’instant, on ne sait pas comment faire, on ne sait pas quoi faire. Stupides d’impuissance, nous sommes et nous restons, tout en nous apitoyant sur la souffrance qui, grâce aux moyens de masse, devient un spectacle. (Une société en toc. Éditions ouvrières, « Caliban », 1969).
Ce texte provocateur inspira certains candidats et en décontenança d’autres. En particulier dans ma Vendée natale où j’étais en vacances. Le problème, c’était que certains recalés rendirent ce texte bizarre responsable de leur échec. En ces temps-là, on servait l’essence à l’automobiliste venant s’approvisionner (aujourd’hui, que le client se débrouille ; on mesure le chemin parcouru dans notre dégringolade…), ce qui constituait un petit travail intéressant pour un jeune homme en vacances désirant gagner un peu d’argent. Un recalé du bac, par exemple. Je n’osais même plus me présenter à la pompe où le jeune homme officiait, silencieux, sombre, ruminant sa défaite, et se demandant encore ce qu’on pouvait bien tirer d’un texte aussi stupide. J’avoue que je n’en sais rien.
Un nouveau recueil : soixante-dix nouveaux poèmes pour réjouir tous ceux qui aiment la poésie – et d’abord ces « jeunes lecteurs » qui découvrent les merveilles de l’imagination et des mots, ces mots qui les amènent au royaume de la poésie et de la vie. On sait bien que l’accord des enfants et de la poésie est une rencontre à la fois merveilleuse et naturelle, mais on sait aussi combien il est délicat de choisir les poèmes de cette première rencontre. En voilà quelques-uns qui ne décevront pas leurs jeunes lecteurs (ni les parents qui retrouveront eux aussi leur premier émerveillement poétique). Le charme de ces vers, au sens de « l’enchantement », vient de leurs images d’une simplicité éblouissante, et de leur chant qui est celui d’une versification si souple, si harmonieuse, qu’elle semble naturelle, alors que la poésie utilise ici toutes les ressources du vers français. Ce n’est pas par hasard que beaucoup de poèmes de Jacques Charpentreau sont lus, aimés, partagés dans les écoles en France et dans tous les pays où notre langue est parlée avec des accents plus ou moins divers, qu’on les retrouve dans des écoles françaises en Indonésie ou en Afrique, et en traductions jusqu’en Russie ou en Chine. On peut dire que cette poésie qui chante dans ces classes est ainsi devenue une poésie classique – mais vivante.
Jacques Charpentreau a reçu de nombreux Prix (y compris de l’Académie française) et un groupe scolaire a choisi de porter son nom. Mais sa plus grande récompense, c’est que ses poèmes soient appris et chantonnés par des enfants pour leur propre plaisir – et peu importe qu’ils aient oublié le nom du poète, s’ils entendent longtemps, toute leur vie peut-être, ses vers chanter en eux.
Article de Louis Delorme :
Jacques Charpentreau – LES SECRETS DU ROYAUME
Les secrets du royaume !Du royaume de Poésie bien sûr ! c’est ce qu’ajoute Jacques Charpentreau sur l’exemplaire qu’il me fait l’honneur de me dédicacer. En sous-titre : Poèmes pour de jeunes lecteurs. Existe-t-il une poésie pour enfants ? C’est Jacques Charpentreau lui-même qui m’avait posé la question. Il me semble qu’on peut donner à lire aux enfants, voire à apprendre, la plupart des poèmes. Ce qui compte c’est la façon de les aborder. Mais on peut concevoir aussi une poésie pour les jeunes lecteurs. C’est ce qu’ont fait Maurice Carême, Claude Roy (Enfantasque ), Robert Desnos (Chantefables et Chantefleurs) et même Apollinaire (Bestiaire). Et Jacques Charpentreau également qui est connu pour les anthologies poétiques qu’il a réunies à l’attention des écoles. On connaît de lui : Poèmes d’aujourd’hui pour les enfants de maintenant (destinés à un public d’école primaire) et Poèmes pour les Jeunes du temps présent (à l’adresse des adolescents) Si l’on veut faire une poésie à l’intention des enfants, l’important c’est de ne pas tomber pour autant dans la mièvrerie, dans l’infantilisme. S’imaginer que les enfants sont incapables d’accéder à la beauté des mots. Et d’en jouer eux-mêmes. Comment le poète s’y prend-il pour se mettre à la portée de ces jeûnes lecteurs ? Il utilise de préférence des mètres courts, quadrisyllabes, pentasyllabes, hexasyllabes, heptasyllabes, octosyllabes, bien cadencés et ainsi propres à accrocher l’attention et la mémorisation du texte. Tout cela, c’est de belle musique ! Et des recettes qui fonctionnent : les interrogations ; « Qu’as-tu fait en classe aujourd’hui ? / – Du parachute en parapluie // Qu’as-tu fait en cours de français ? – Oublier tout ce que je sais. » (in Questions inévitables au retour de l’école), les jeux sur les mots et expressions : « Qu’elle était belle la Lurette / Qui se promenait au jardin,/ Collier d’or, robe de satin, / Dansant et chantant à tue-tête. » (in La Belle Lurette), les contradictions, les changements de rôle : « Changeons ! a dit le maître. / Le noir s’appelle blanc, / Le froid devient brûlant, / Quatre et treize font seize, / On conduit sans volant. » (in Qui sont les bons élèves ? ) et puis, un surréalisme de bon aloi qui plaît tant aux enfants ; « Léa joue du violon à voiles / Zéphyrin d’un truc à pédales / Suzon du fromage à virgules /– Moi, je joue du fauteuil à bulles. » (in Les musiciens). Le livre de Jacques Charpentreau ne s’adresse pas qu’aux enfants. Il peut devenir aussi un excellent outil pédagogique. On peut faire réagir les enfants sur la plupart des poèmes. On pourra chercher d’autres Qu’as-tu fait?, d’autres joueurs d’instruments bizarres, d’autres changements d’identité. Que vont devenir le chat, le zèbre… ? Jacques Charpentreau connaît bien l’univers des enfants : il exploite les thèmes qui « marchent », en regroupant les textes qui y font référence : La clé des champs, À l’école, Mes bêtes, Sortilèges, etc. Ce didactisme ajoute à l’intérêt du livre. Laissons-nous emporter Au Royaume de poésie avec ces « fées en robe de gala / Et falbalas / Des fées qui changent les cailloux / En beaux bijoux », avec « le vrai magicien / Réveillant la terre endormie / Par sa mystérieuse alchimie », nous qui avons su rester de grands enfants et nous pourrons, par esprit de contradiction, jouer avec les nôtres, à trouver des sorciers qui changent les bijoux en cailloux, qui retardent la venue du printemps, qui sait ? Pour augmenter notre plaisir, le poète illustre son recueil avec des collages qui prolongent le rêve. Votre livre me donnerait envie de retourner à l’école pour le transmettre à mes élèves. Merci, cher Jacques Charpentreau pour cette bulle de bonheur ! nous en avons tellement besoin.
JACQUES CHARPENTREAU – GALERIE DES POÈTES FRANÇAIS
« Ce recueil est l’hommage d’un poète d’aujourd’hui à ses prédécesseurs. En plus de dix siècles, notre poésie a été illustrée par des milliers de poètes. Il m’a bien fallu faire un choix parmi eux. En quatre-vingts quatrains j’ai évoqué quatre-vingts poètes des origines à nos jours, beaucoup prestigieux, certains moins connus, d’ici ou d’ailleurs, tous ayant fait chanter la langue française, chacun à sa façon. Aujourd’hui comme hier, la poésie est toujours la plus haute expression de notre langue, et j’ai voulu le rappeler avec cette Galerie qui rend un hommage personnel aux poètes qui n’en reçoivent pas souvent : le Panthéon où reposent tant de grands hommes et si peu de femmes n’a jamais accueilli que deux poètes, Voltaire et Hugo – et encore n’y ont-ils pas été admis en tant que poètes, mais plutôt pour leurs vertus civiques de penseurs et de défenseurs de nos libertés. Par-delà mes quatre-vingts poètes exemplaires, ce sont tous les poètes d’hier et d’aujourd’hui que je veux mettre à l’honneur, en attendant ceux qui, demain, feront chanter notre langue à leur tour. »
« Il se fit tout à coup le plus profond silence Quand Georgina Smolen se leva pour chanter »
Alfred de Musset, Le Saule.
« Dans le tumulte du monde, ce silence est celui qui annonce et accompagne le passage du chant, de la grâce, de la poésie. Mais la beauté n’abolit pas l’horreur : la poésie exprime nos émotions comme nos refus des monstrueuses abominations du monde, les violences, les guerres, l’écrasement des humbles. Tout cela inspire ce recueil, dans une ombre qui s’agrandit. La poésie dit la mort comme l’amour. Mais la poésie ne le dit pas n’importe comment. Je suis de ceux qui essaient encore d’exercer leur art, l’art poétique, en combinant les mots, leurs sens, leurs sons, leurs accents, leurs images, pour faire entendre le chant qui est en nous. C’est lui qui transforme les lignes d’un texte en vers d’un poème. La poésie exige qu’on accorde les mots comme un musicien accorde son instrument pour en jouer. Ce chant, nous l’entendons depuis toujours, accordé à la scansion de la marche de notre vie, au rythme de notre cœur, et il sera là jusqu’à son dernier battement. Pour l’entendre, il faut l’écouter sur le silence à faire en nous, malgré le tumulte du monde. »
J. C.
La silencieuse
On n’entend pas tomber la neige On n’entend pas marcher le chat On ne sait pas quand s’approcha L’amour qui nous a pris au piège.
À pas de loup la vie s’abrège Le temps file à travers le chas Et la patte du chat cacha Cette pelote qui s’allège.
La silencieuse plus encor Qui possède l’âme et le corps Elle était là sans qu’on le sache
Celle qui tapie sans recours Sans bruit sans espoir sans secours Depuis toujours en moi se cache.
*
Le crime
Plus loin que le fracas des bombes et des armes, Le grincement des chars, la folie des stukas, Au-dessus des rockets, dans l’infernal vacarme Des miaulements rageurs des orgues Katiouchas, Plus puissants que les cris, les hurlements, les larmes, Par-delà le blasphème ignoble de l’histoire, Dans ce monde à jamais au mal abandonné, J’entends, plus innocent que Jésus au prétoire, Le dernier battement du cœur d’un condamné : Le sanglot d’un enfant qu’on jette au crématoire
*
L’adieu du régisseur
La représentation s’achève, Il n’en reste pas plus qu’un rêve, Une vapeur, un songe, un rien…
Mais vous avez été très bien :
Vous avez tenu votre rôle, Tantôt émouvant, tantôt drôle, Les spectateurs étaient contents, Cela se sent, cela s’entend À leurs longs silences complices, À la façon qu’ils applaudissent. J’ai même perçu très discret Au fond comme un sanglot secret. Et maintenant, j’éteins les lampes, La salle, la herse, la rampe. Adieu. Le noir est absolu. Pour l’atteindre, il vous a fallu Mener le spectacle à son terme. La pièce est terminée. On ferme.
***
Article de Robert Vigneau sur le livre :
Un si profond silence
« Ceci n’est pas un recueil terroriste. D’emblée, je me méfie : depuis le sibyllin Coup de dés mallarméen, j’évite soigneusement les ouvrages qui s’annoncent comme des poèmes – tout juste propres à amuser les savantasses de typographie. Ici rien de tel : il ne s’agit nullement d’un casse-tête. Il ne s’agit que de poésie. C’est à dire de sentiments. Audibles ! Cela s’intitule Un si profond silence. C’est un récent recueil de Jacques Charpentreau. Ce beau titre est d’ailleurs tiré d’une citation de Musset ; ce patronage romantique rassure le lecteur. Il suggère ce silence où monte le chant de toute existence. On ne peut ignorer Jacques Charpentreau tant il s’est révélé prolixe : une quarantaine de recueils qui s’adressent à tous les âges et conditions (comme en témoigne même une édition en braille !) – mais ce tout dernier ouvrage tient une place particulière dans cette œuvre lyrique si ample et contrastée : le poète y offre sa méditation personnelle d’une existence confrontée à la si commune obsession de l’ultime souffle.
La vie de la vie se retire Et le reflux est rejeté.
Il prend place ainsi dans la simple tradition française, de Villon à Queneau par exemple, que chacun illustra selon son tempérament, du réalisme effaré du pendu à la moquerie jaune de l’instant fatal… Ici, toutefois, le ton demeure volontairement assez proche de la réflexion commune : Il s’agit là d’une méditation à l’écart de toute révolte, d’une tranquille acceptation de la loi du vivant.
J’ai connu des joies et des larmes Mais le temps est toujours trop court.
Aucune frayeur. De sincères regrets sans violence. Le poète se cantonne volontiers dans ce climat pacifié. Il ne blesse jamais les croyances. Il convie à la sérénité. Il s’affirme en fidélité avec soi-même. « Je reste ce que j’ai été. » Son lecteur se trouve plutôt consolé dans cette ambiance dénuée de détails étrangers au moment final. Cette atmosphère peut ainsi concerner chacun. Comme un baume, même dans les images limpides de notre ignorance :
Il n’y a pas de port, il n’y a pas de rive : L’univers se dilate, énorme cœur qui bat, On ne sait pas pourquoi nos vieux espoirs survivent. Nous errons sans savoir qui nous attend là-bas, Nous fuyons dans le vide en immense dérive.
Cependant, les anecdotes frappantes, les émotions des jours qu’ont croyait négligées sont loin de passer à la trappe de l’oubli. Leur force au contraire, c’est de se retrouver réunies, entassées comme autant d’éclats (c’est le titre de ce poème) d’une existence abolie qui va s’opposer au reste du recueil entièrement consacré, lui, à cette méditation finale : ces éclats donnent ainsi matière au poème le plus fourni du recueil ; ils s’accumulent sans ponctuation, dans le désordre spontané du quotidien, en une succession d’alexandrins uniques, souvent savamment troussés d’ailleurs :
(…) Vin rouge et camembert oral avec Cohen La noire antiquité sous l’énorme dolmen Tous ces regards d’enfants à ma première classe Et puis le dernier cours le fil du temps se casse Michel Simon nichant dans un grand sassafras Franz Liszt ressuscité sous les doigts de Cziffra Une nuit enfermé dans un immeuble en flammes Quand les cloches sonnaient au loin à Notre-Dame Me trouver à l’endroit où se pendit Nerval Jean-Louis Barrault mimant le galop du cheval (… )
Autant de moments d’émotion… que nous ne découvrirons jamais en ampleur de poèmes ! Le recueil s’orchestre en trois mouvements naturels, successivement : Fontaines du temps, Chaos et Harmonie. La première partie, Fontaines du temps, est la plus ample : elle établit surtout un état des lieux, ces impressions de l’âge qui décline selon des détails inattendus (tenir les cartes, apercevoir un régisseur, feuilleter un dictionnaire) avec cette image si récurrente chez Charpentreau, du petit garçon qu’il fut :
Pourrait-il me reconnaître Du grand fond de ce miroir Où j’aime à le voir paraître S’il parvenait à me voir ?
Chaos propose ensuite une vision sans pitié du siècle que le poète dut vivre. On y retrouve ses accents de colère et de révolte devant les égorgeurs, infanticides et autres voisins barbares. La plus brutale actualité n’échappe pas à une vindicte peu visible en sa mélodie, nous faisant oublier que Charpentreau est aussi un vigoureux poète militant :
Fous de dieu, drogués et pervers, Le mal à nouveau surabonde. Il n’a jamais quitté le monde. Nus n’avons qu’un seul univers Dont il est le sinistre envers. Elle revient, la bête immonde.
L’ouvrage trouve une sorte d’apothéose dans le troisième mouvement dont l’intitulé Harmonies achève la quête et le chaos précédents.C’est l’occasion d’exprimer une sensation assez originale en inspiration poétique, la prise de conscience des existences qui nous ont précédés et, à leur suite, rendus viables :
J’ignore tout de vous en moi, Famille immense des ancêtres, Des choses, des plantes, des êtres Qui me peuplent, qui font ma loi, Et me guident sans l’apparaître.
L’autre aspect majeur de ces ultimes pages me paraît la réponse que, volontairement, Charpentreau s’abstient d’assener à l’interrogation fatale. Il laisse chacun libre d’imaginer un paradis… ou son absence : au contraire de tant de chantres blindés dans leur dogme, Charpentreau n’avance jamais quelque foi comme preuve : à cet égard, il reste d’une honnêteté toute laïque :
Je ne sais ce que je serai. La vie reçue, il faut la rendre Sans en connaître le secret, Sans le percer, sans rien comprendre, Redevenir poussière et cendre.
On le voit : il ne s’agit ici que de poésie, c’est à dire d’émotion – et en l’espèce de celle qui nous saisira tous à un moment donné de notre périple. On retrouve ici la réflexion de Montaigne, s’y préparant : la mort n’est pas le but de la vie, elle n’en est que le bout. Et pour entendre message si limpide, si universel nul besoin d’abasourdir le lecteur des faux pétards du vers libre et autres baroufs de typo : le poète s’exprime naturellement en sonnets précis, en dizains traditionnels, en vers rimés et scandés, en formes et strophes que la répétition fixe et la mémoire retient d’autant plus aisément qu’elle s’est glissée dans sa sensibilité. »
Être ému, c’est être mis en mouvement, comme peut nous le rappeler l’étymologie. L’émotion ne se réduit pas à ce qu’on appelle souvent, avec quelque mépris, le sentimentalisme.
En poésie, il est de bon ton, j’allais dire de bon temps, de critiquer le lyrisme qui est, souvent à juste titre, considéré comme une effusion égocentrique de l’identité, avec ses déclinaisons individualistes.
L’émotion poétique, ce n’est pas ça. Ce n’est pas la sentimentalité, son expression, son extension, ni son partage.
Pourtant, si le poème n’émeut pas, c’est qu’il n’est pas reçu.
Entendre un poème, c’est effectivement se laisser atteindre par ce qui, à l’intérieur de ses mots, nous met en mouvement. Quelque chose de nous-même est touché, bougé, ébranlé, et cela vient par les mots, dans cette « sorcellerie évocatoire » dont parlait Charles Baudelaire, et qui est la marque des poètes.
Ainsi va le poème : parole de l’un pour l’autre (cet autre est aussi bien le poète que son lecteur. Cet autre est intérieur au poète autant qu’extérieur. L’altérité est aussi au fond de nous-mêmes.) Ni un discours ni un récit, mais une parole, c’est-à-dire le surgissement d’une voix de chair, d’une voix particulière dans des mots que nous connaissons, mais qui, à être parlés de cette manière, sont renouvelés, sont augmentés.
Quelque chose a changé, est ajouté à la familière signification.
Ce quelque chose, c’est DU SENS, non pas une simple signification de plus ni une « vision » différente, non, pas seulement. Mais un bouleversement premier plutôt, qui nous fait sentir-comprendre que l’humain est capable de sens, de donner du sens, d’aller le chercher ou de le fabriquer. Nous avons cette force, et cette liberté. Et nous l’avons tous.
Le poème est comme un réservoir de sens, il nous le montre. C’est cela qui nous bouleverse.
Chaque poème ajoute quelque chose à la signification pure des mots qu’il emploie et qui sont à tout le monde. (Images, musicalité, rythme, constructions particulières, déplacements inattendus…)
Le poème est un puits ouvert dans la langue. Il y manifeste que notre langage est subjectif, et en l’occurrence que, loin d’être un défaut, c’est bien là notre richesse.
Le langage fabrique les sujets que nous sommes. Et c’est l’honneur de la poésie de nous le rappeler, face à tout ce qui nous rétrécit et qui nous brise. Face à ce qui nous rend anonymes et qui nous voudrait interchangeables, le poème rend chacun de nous à lui-même.
Le poète nous montre le « verre coloré »(Husserl) que nous avons tous, chacun le sien, devant les yeux, et nous révèle que nous regardons le monde à travers lui. Il nous fait sentir que ce foisonnement augmente la vie.
LE POÈME NOUS DONNE LE SENTIMENT-SENSATION DU SENS.
Le sentiment que quelque chose dans la parole poétique déborde sa signification lexicale.
Et c’est cela qui est appelé dans la lecture du poème. C’est cela qui est partagé, et qui est modulé. C’est cela l’émotion poétique.
Dire aussi que ce quelque chose est une présence : tout à coup, un homme parle, voici un poème, et voici une présence au monde qui s’offre à nous. Alors, dans le même temps nous est donnée notre propre présence. Et de cette manière, notre propre liberté.
Ainsi, nous sommes, dans ce frémissement.
Comprendre de cette manière, peut-être, le «Ô insensé qui crois que je ne suis pas toi » de V. Hugo.
Oui, nous le sentons, nous le découvrons en nous-mêmes, nous sommes les parlants du monde et le monde parle à travers nous.
C’est notre force, et c’est notre responsabilité. C’est notre grandeur et aussi, souvent, notre honte.
Le poème n’a rien à voir avec la morale, mais il nous remet à notre place : Nous sommes tous en charge du monde et de nous-mêmes. Nous le décryptons, nous le parlons, nous le transformons.
Il me semble que c’est dans cette émotion-là que nous conduit la poésie, au bord de nous-mêmes.
Oui, c’est bien au cœur, mais à celui qui n’est séparé ni de notre intellect, ni de notre corps, que nous sommes touchés.
Que fait donc la poésie, si ce n’est donner de la vie aux mots, les plonger dans la marée immense du vivant et y glisser l’éblouissement de notre présence ?
À charge pour nous de l’accueillir ou de la refuser. Ceci ne lui appartient plus.
Dans les couleurs du monde un petit œil s’enfuit
il vagabonde entre les signes il les éclaire
il les transforme les habille de neuf très doucement
très sagement sans bruit aucun
il ajoute à la vie ce qu’elle ne connaît pas encore
le réel palpite
il nous appelle
ce petit œil est en chacun de nous ce qui donne au monde sa forme
Entretien Terre à Ciel : Jean Le Boël répond aux questions de Cécile Guivarch à propos de la Maison de Poésie de Paris Fondation Émile Blémont
1- Il me semble que nous ne pourrions pas parler de la Maison de Poésie de Paris – Fondation Emile Blémont, sans parler de celui qui l’a fondée. Cher Jean : qui était donc Emile Blémont ? Quelle était sa personnalité ?
Tu as raison : à tout seigneur, tout honneur ! D’autant que son cas est exemplaire : c’est celui d’un poète assez lucide pour ne pas s’obnubiler de sa seule création ; assez curieux et fin pour distinguer le génie là où ses amis hésitent ou sont carrément choqués ; assez généreux et visionnaire pour prolonger, au-delà de sa propre existence, son bienveillant soutien à la poésie. Émile Blémont, né Léon-Émile Petitdidier a vu le jour à Paris en 1839 ; il y est mort en 1927. Il ne s’intéressait pas qu’à la poésie, mais aussi au théâtre ; il fut proche de Victor Hugo, des Parnassiens et des Symbolistes ; c’est à lui que Rimbaud offrit le manuscrit du sonnet dit des Voyelles ; il fut traducteur d’Edgar Allan Poe, de Mark Twain, de Sterne et, dans la revue qu’il fonda en 1872 (La Renaissance littéraire et artistique), il publia la première traduction en français de Leaves of grass de Walt Whitman. Rien qu’à ces titres, il a déjà joué un rôle dans l’histoire littéraire. Mais chacune des rubriques que je suggère mériterait un long développement. Pour le connaître mieux, rien de tel que la lecture du Bonjour, M. Blémont, le mystérieux invité du Coin de Table et la bohème artistique et littéraire des années 1870 que lui a consacré Mathilde Martineau en 1998.
2- Il y a ce tableau de Fantin-Latour le Coin de table, qui figure maintenant dans le patrimoine du musée d’Orsay, en lien avec Emile Blémont et la poésie. Cela mérite que nous nous attardions sur cette toile. Son histoire, son symbolisme. Sa description. Peux-tu développer cela ?
Henri Fantin-Latour pourrait passer aux yeux des distraits pour un peintre relativement sage, bien à sa place dans les musées, une espèce d’officiel. Ce serait très injuste : c’était un passionné, un curieux, un moderne, quelqu’un qui aimait sortir des sentiers battus, aussi bien en peinture qu’en littérature. Il avait commencé vers 1864 une série de tableaux collectifs, conçus comme autant d’hommages au génie : Hommage à Delacroix – il place Baudelaire parmi ses figures, avec Manet, qu’il célèbre à son tour dans Un Atelier aux Batignolles – où on retrouve Bazille, Monet, Renoir, mais aussi Zola, entre autres. Il en préparait un pour Baudelaire, après sa disparition, qui se serait appelé L’Anniversaire. Il ne le fit pas, mais il s’intéressa au vivier de poètes réunis par Émile Blémont autour de la revue La Renaissance littéraire et artistique. Ces Parnassiens, poètes héritiers de l’Art pour l’Art de Théophile Gautier se réunissaient tous les mois pour des repas que la presse bien-pensante appelait les « dîners des vilains bonshommes ». Suffisamment vilains, en tout cas, pour que tous ne les fréquentent pas. Le célèbre éditeur Poulet-Malassis aurait aimé ajouter à la liste Leconte de Lisle, Théodore de Banville et Hugo, mais ces derniers déclinèrent l’invitation. Eux, du moins, conservent une notoriété. Peut-on en dire autant d’Albert Mérat qui aurait refusé d’apparaître aux côtés de ce voyou de Rimbaud et dont la place est occupée par un pot d’hortensias ? On y voit donc, assis, Paul Verlaine, Arthur Rimbaud, Léon Valade, Ernest d’Hervilly, Camille Pelletan ; debout, Pierre Bonnier, dit Elzéar, Émile Blémont, Jean Aicard. Nous pouvons, hélas, avoir beaucoup oublié d’eux. Ils constituaient pourtant une élite objective, créatrice et vivante. Que deux d’entre eux, Verlaine et Rimbaud, continuent à ce point de nous marquer fait de cette toile un document miraculeux. Émile Blémont qui en était devenu propriétaire en fit don à l’état et elle fait désormais partie des collections du Musée d’Orsay. Mais me voici dans un exposé d’historien, ce qui n’est pas forcément ma compétence. Je suggèrerais plutôt la lecture du roman éponyme de Claude Chevreuil Un Coin de Table.
3- En quoi et comment Emile Blémont a-t-il occupé une place de choix dans le monde de la poésie ? Selon toi est-il à l’initiative d’un mouvement, d’un élan pour la poésie contemporaine, avec la création de la Maison de Poésie de Paris et de la Fondation ? Quelles actions avait-il mises en place ? Par quelle(s) ambition(s) était-il porté ?
Je ne suis pas sûr qu’on puisse dire d’Émile Blémont qu’il ait été ni un Verlaine ni un grand théoricien de l’écriture poétique. Un infatigable soutien des poètes, si. Il accompagna, en 1902, la création de la Société des Poètes Français par les Académiciens Léon Dierx, José-Maria de Heredia et Sully-Prudhomme : combien se souviennent que ce dernier fut, en 1901, le premier Prix Nobel de Littérature, combien lisent encore sa poésie ? C’était pourtant un homme estimable et un bel écrivain. Blémont, en tout cas, n’entendit pas placer tous ses espoirs dans cette très officielle Société. Il devait avoir conservé un certain goût des voyous et l’idée que la Poésie avait besoin de respirer en dehors des institutions. Ce qui ne veut pas dire qu’on doive la jeter à la rue. D’où, après sa mort, en 1927, et suivant ses dispositions testamentaires, la création de la Fondation Émile Blémont et l’installation de la Maison de Poésie, au 11bis, rue Ballu, dans le IXème arrondissement. Cette fondation, reconnue d’utilité publique dès 1928 par décret du Président de la République, constitue un excellent outil de promotion de la poésie et de défense des poètes.
4- Il y a eu la période Émile Blémont mais aussi un après. Il me semble, la Maison, la Fondation ont été gérées par Jacques Charpentreau. Et comment s’est-elle développée alors ?
Il y avait autour de Jacques Charpentreau, décédé en mars 2016, une équipe remarquable dont les survivants parmi nous sont Jean Hautepierre, Jean-Luc Moreau, Jean-Pierre Rousseau, Robert Vigneau et Sylvestre Clancier, notre nouveau président. Un bonne partie de leur travail a consisté en une refonte des prix, très nombreux, décernés par la Maison de Poésie, dans un souci de lisibilité. Qu’on y songe : le Grand Prix de la Maison de Poésie est ainsi né du regroupement des cinq prix dits de Fondation, dont le Prix Émile Blémont ; le Prix Verlaine a absorbé les Pierre Louÿs, Léon Valade, Gabriel Vicaire, Charles Péguy ; le prix Philippe Chabaneix, de critique ou d’histoire de la poésie, a repris le Léon Riotor… et ainsi de suite, afin d’adapter la communication de la Maison à notre monde pressé.
L’autre gros chantier a été la revue Le Coin de Table dont la production (soixante-six numéros, jusqu’en mai 2016) a été riche et exemplaire.
Jacques Charpentreau s’y était tellement investi qu’il était malaisé de poursuivre sans dénaturer. Nous avons préféré lancer un programme d’anthologies dont la première La poésie française, cent ans après Apollinaire, sortie en décembre 2018, réunit cinquante poètes, dont de très belles voix nouvelles. D’autres suivront, tous les deux ans, a priori. Françoise Coulmin a une véritable expérience des anthologies, mais elle n’a pas imposé ses choix. Chaque administrateur, ici, a contribué avec trois poèmes, puis a retenu deux autres poètes ; lesquels, à leur tour, en ont choisi deux supplémentaires. D’où la très belle variété de la cinquantaine de noms retenus.
5- Après la disparition de Jacques Charpentreau, il y a eu un essoufflement, alors comment un nouvel élan a-t-il été possible ? Sous l’impulsion d’une personne, d’un collectif ? Et pourquoi avoir eu l’envie de poursuivre les activités initiées par Émile Blémont ?
Je n’emploierai pas le mot d’essoufflement, plutôt celui de désarroi. La Maison de Poésie devait affronter, outre la disparition de son animateur, les démêlés judiciaires avec la SACD qui prétendait la chasser de ses locaux historiques. Je ne prendrai pas position dans une procédure qui est encore entre les mains de la justice, mais disons que la SACD pourrait bien avoir à regretter, semble-t-il, cette tentative malheureuse. Il y avait aussi une question de génération : certains étaient sur la brèche depuis plus de trente ans. Dans ce contexte, Sylvestre Clancier a pris l’initiative d’un amalgame renouvelé, en reconstituant une équipe solide, composée de figures historiques de la Maison, pour la mémoire, pour la transmission, et de bleus, prêts à s’investir et apportant leur expérience de l’animation et de la promotion de la poésie. En voici l’état actuel : Sylvestre Clancier (Président), Claudine Bohi, Françoise Coulmin, Jean Hautepierre (trésorier), Colette Klein, Jean Le Boël (secrétaire général), Jean-Pierre Rousseau
Membres d’honneur: Jean-Luc Moreau, Robert Vigneau
Directeur : Franck Lebeugle
6- Qu’est-ce qui différencie la Maison de Poésie de Paris des autres Maisons de la Poésie selon toi ? Quelles actions sont menées ou vont-elles être menées pour la poésie, les poètes, les éditeurs ?
Il ne s’agit pas, à nos yeux, de nous affirmer uniques ou supérieurs, mais d’agir, y compris avec les autres maisons de poésie. Nous ne sommes pas liés à un territoire : nous servons la création poétique, en général. Nous nous sentons une responsabilité historique, une responsabilité d’héritiers. Nous avons une spécificité, celle d’être une Fondation reconnue d’utilité publique. Il serait dommage de laisser partir à vau-l’eau un aussi bel outil et l’indépendance qu’il offre à l’égard des tutelles.
7- Je crois que la Maison de Poésie organisera également des prix, quelle est selon toi l’importance de ces prix, et quelles seront les conditions ?
Nous allons relancer le programme des Prix. En 2019, nous avons décerné le Prix Verlaine, soutenu le Prix Louis Guillaume et nous comptons également renouveler le Prix Rimbaud. Ce prix, orienté vers la jeunesse, avait été suspendu lorsque l’État lui avait retiré son soutien. Nous envisageons de lui donner un autre visage, de nature à rendre la lecture de la poésie contemporaine plus spontanée chez les jeunes gens. Il ne s’agira plus seulement de demander à des lycéens d’écrire de la poésie, mais d’en faire les jurés d’un prix de poésie contemporaine, sur le modèle de ce qui se pratique pour le Prix des Trouvères, que j’anime par ailleurs. C’est d’ores et déjà programmé pour le début 2021.
Oui, les prix seront pour nous un moyen d’encourager, d’épauler des voix nouvelles, pas seulement de consacrer, mais aussi de susciter un nouveau lectorat.
8- Comment pensez-vous mettre en avant la poésie contemporaine, la diffuser, la faire rayonner ?
Les anthologies que j’évoquais tout à l’heure, le renouvellement du Prix Rimbaud vont déjà dans ce sens. Dès que nous aurons retrouvé nos locaux et les coudées un peu plus franches, nous devrions rendre plus fourni notre programme d’animations. Nous avons aussi participé aux deux premières éditions du Salon des Poètes et de la Mélodie française qui se sont tenues à la Salle Gaveau, en décembre 2018 et décembre 2019.
9 – Est-ce que la Maison de Poésie agira seule ou bien allez-vous développer des partenariats, des actions avec d’autres maisons, d’autres institutions, en France ou ailleurs ?
Nous sommes au début d’un nouveau cycle. Oui, des partenariats seront noués, à la fois en région et à l’étranger. Voici quelques points du programme de notre président, Sylvestre Clancier :
« D’où il ressort que notre Maison de Poésie à la différence d’autres Maisons de la Poésie créées ultérieurement en France doit ouvrir largement ses portes à celles et à ceux qui défendent et promeuvent la poésie et l’œuvre des poètes et accueillir toutes formes de manifestations (à titre d’exemple les éditeurs de poésie pourront y présenter leurs nouveautés en présence des poètes concernés etc.)
Les Associations de poètes ou d’Amis de poètes disparus pourront y tenir leurs réunions et manifestations.
Un Parloir des Poètes y sera régulièrement organisé, comme Émile Blémont le souhaitait.
Un prix de poésie destiné à impliquer de jeunes lecteurs (collégiens et lycéens) dans la lecture de manuscrits de poèmes et d’établir des sélections, comme cela se fait déjà autour du Prix des Trouvères, pourra être développé, en un premier temps, en partenariat avec ce Prix et auquel pourrait être associé un Prix Rimbaud (notre nouveau Secrétaire général, Jean Le Boël, se proposant de nous aider en cela).
Des anthologies de poèmes continueront à y être réalisées tous les deux ou trois ans afin de faire découvrir ou mieux connaître des voix nouvelles de la poésie contemporaine.
Notre Prix Paul Verlaine sera remis plus régulièrement.
Chaque année notre MDP associée à l’Association des Amis de Louis Guillaume remettra avec eux le Prix Louis Guillaume du poème en prose à la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, comme cela a été fait pour la première fois l’an passé. Une lecture de poèmes en prose accompagnée d’un ou deux musiciens sera organisée.
Notre MDP tissera progressivement des liens avec d’autres Maisons de la Poésie à Paris et sur tout le territoire, voire au-delà, par exemple avec la MDP de Montréal au Québec, pour réaliser dans leurs murs des interventions poétiques à charge par la suite de réciprocité.
Des partenariats seront noués avec des professeurs de lettres en Collèges et Lycées afin de permettre des interventions de poètes en classe. »
10 – Enfin, comment vous êtes-vous organisés, car il me semble que vous êtes un collectif de poètes à faire évoluer la maison. Qui êtes-vous ?
Le fonctionnement d’une fondation n’est pas tout à fait celui d’une association, loi de 1901. Nous sommes sept, pas plus, sans compter les membres d’honneur, et nous cooptons les nouveaux entrants, en cas de disparition ou de démission, selon la règle de l’unanimité.
Dans un souci d’efficacité, nous nous sommes dotés d’un Directeur : Franck Lebeugle nous apporte une compétence d’organisateur et de gestionnaire, dans une fonction qui fut un temps assumée par Mathilde Martineau.
11- Dernière question, un peu indiscrète : comment faire vivre la maison de la poésie, de quels fonds, de quelles subventions nécessite-t-elle ?
La question n’est pas indiscrète : elle est centrale. En tant que fondation, nous sommes habilités à recevoir dons et legs. Ces versements donnent droit à de substantiels dégrèvements d’impôts.
Acheter nos publications, nos anthologies constitue également un excellent moyen de soutenir notre action. Par avance, merci. Mais la faire vivre, c’est aussi l’accompagner dans ses initiatives. Nous sommes tous à l’écoute, particulièrement le secrétaire général que je suis.
Max Alhau Les mots en blanc (140 pages L’herbe qui tremble 2020) (couverture et planches : Elena Peinado Nevado)
« Disparaître quoi que l’on fasse »
Il suffit de la conjugaison au futur antérieur pour que le lecteur soit saisi par l’émotion : « Cette vie n’aura été… ». Le livre s’offre à nous comme une espèce de bilan, de ceux qu’on ferait quand on s’interroge sur « ce qu’il reste à franchir », qu’on se demande « à quoi [on] aura acquiescé » et que s’imposent certains constats : « il est trop tard sans doute ». Mais le poète, dans cette entreprise où il recourt à ses deux manières : deux sections en vers, une en prose, est trop fidèle à lui-même pour ne pas rester en éveil : il est prêt à accueillir « cette part de surprise / que les mirages nous réservent encore ». On sait l’importance du thème de la marche dans l’œuvre de Max Alhau. De cette métaphore de la vie comme un chemin procèdent le regard du marcheur et les questions qu’il pose auxquelles « seul le silence répond ». Certaines s’adressent à lui-même : « Est-ce cela avoir vécu », d’autres au monde indéchiffrable, insaisissable et qui se dérobe à nos certitudes, ainsi qu’en témoignent les adjectifs « fugitif », « éphémère », « provisoire », « illusoire ». Même au futur, la conclusion est connue d’avance : « Bientôt on ne connaîtra plus rien ». Mais l’écrivain ne renonce pas : il s’agit de « dire une fois encore » et, l’oxymore « brève éternité » le souligne, d’approcher ce moment où la parole se suffirait à elle-même dans « la force des mots / retournant à leur blancheur première ». Alors, malgré la perte de l’être aimé, malgré « le péril sans équivoque », seule issue du chemin, tout sera réconcilié, la mort ne sera plus qu’un mot : « arrivé à son terme / tu ne pourras faire demi-tour / l’ombre et la lumière : / un même mot les désignera ».